« Je veux voir mes enfants grandir ». Cette phrase a été rendue célèbre par l’artiste Longue Longue. Elle symbolise aujourd’hui l’hésitation, voire la peur de ceux qui pensant que la situation est mauvaise et injuste choisissent néanmoins de ne pas s’engager concrètement dans la vie politique au Cameroun. La suite de l’article a pour objectif de montrer que même si (et surtout parce que) on veut voir ses enfants grandir, il est possible de s’engager pour obtenir le changement que l’on appelle de nos vœux…

Le week-end dernier j’ai assisté à la Convention du MRC, le principal parti d’opposition du Cameroun. Parti duquel je suis adhérent. Mes opinions sur le régime en place sont connues et vous trouverez sur ce blog de nombreux articles l’illustrant.

Les chroniques du jeudi : Je veux voir les enfants grandir...

J’ai reçu de nombreux messages de proches me demandant si en allant à cette convention, « je n’avais pas peur », « j’allais pouvoir passer les frontières sans être arrêté », etc. Sur place, des « camarades » se sont sentis espionnés (voiture banalisée, etc.). Les conversations du style

  • Tu n’as pas peur ?
  • Pourquoi j’aurais peur ? j’ai fait quoi de mal ?
  • Rien, rien.
  • Et toi, tu n’as pas peur ?
  • Moi ? je n’ai rien fait.

Tous deux n’avons rien fait. Mais je devrais quand même avoir peur. Et c’est vrai. Face à l’arbitraire, tout le monde peut être frappé. Des milliers militants du MRC n’ont-ils pas été ou ne demeurent-ils pas en prison depuis 2018 ? Le groupe de travail des Nations Unies a qualifié leur détention d’arbitraire et demandé à l’Etat du Cameroun de procéder à leur libération et leur indemnisation. Ces recommandations sont restées lettre morte. Les détenteurs de Moulinex peuvent écraser qui ils veulent et quand ils veulent. C’est un risque. Ce risque peut-il être évalué ? Pour un militant du MRC comme moi, le principal risque est d’être arrêté. Les moyens de pression économique (chantage à l’emploi, aux business, etc.) sont assez faibles. Ce risque est il élevé ? Examinons.

La quasi-totalité des militants l’ont été du fait de leur participation (ou de leur intention de participer pour quelques uns d’entre eux) à des manifestations. Comme le Pr. Kamto l’a indiqué, la manifestation est un outil à disposition d’un parti politique dans la poursuite de ses objectifs stratégiques. Ma lecture personnelle est que la stratégie du MRC était claire et logique : mettre la pression sur le régime via la mobilisation populaire afin d’obtenir la refonte du code électoral, un audit des dépenses pour la CAN à venir, une résolution négociée du conflit du NOSO, s’établir comme l’acteur clé de la scène politique, voire obtenir un changement de régime comme au Burkina Faso avec la chute de Compaoré. C’est ma lecture. Si je peux lire comme ça, d’autres le peuvent. Et d’autres, ceux du régime l’ont fait. Quelle a été leur réaction ou leur objectif ? Tuer ces manifestations dans l’œuf. C’est pour cela qu’ils n’ont pas hésité à arrêter, bastonner, emprisonné des citoyens pacifiques. Instiller la terreur dans les esprits pour que personne ne sorte dans la rue : « Vous sortez, vous finissez en prison. Rien ne va nous faire ». C’est également pour cela qu’après 2020, ils se sont appliqués à décimer non plus M. Kamto lui-même pour lequel il y aurait eu trop de pressions diplomatiques (comme M. Macron l’a confirmé) mais ses collaborateurs. Résultat, les marcheurs (et même les non marcheurs) sont en prison. L’ONU condamne, ils y restent. Va-t-on encore marcher ? C’est une victoire pour le régime, mais une victoire à la Pyrrhus, car leurs agissements ont fini d’asseoir dans les opinions nationale et internationale qu’il n’y a que le MRC qui est un problème.

Les marches n’étant pas d’actualité, ce risque d’arrestation est donc moindre. C’est mon appréciation. D’aucuns peuvent en avoir une autre. Car comme indiqué plus haut, face à l’arbitraire, rien n’est prévisible et tout peut arriver. Certains peuvent donc continuer à avoir peur. Dans ce cas, disons qu’il y a des solutions. Les solutions seront de choisir le bon niveau d’engagement. En effet, il y en a plusieurs :

  • L’engagement prudent : Ici, vous pouvez soutenir ou aider de loin. C’est ici que l’on peut regrouper les sympathisants. Vous n’êtes pas forcément encarté. Peut-être ne postez vous rien sur les réseaux sociaux. Mais vous n’en pensez pas moins. Un soutien financier, une présence à une manifestation ou un meeting dans un pays libre, une adhésion et une participation à la vie militante sont des actions possibles qui ne vous exposeraient pas. Ces actions auront néanmoins un impact. Vous ne courrez aucun risque.
  • L’engagement plein : C’est ici que l’on retrouve la majorité des militants du MRC qui étaient par exemple à la convention. L’engagement est connu et assumé. On va aux meetings, on essaie de convaincre l’entourage, y compris sur les réseaux sociaux. Je pense qu’il n’y a pas de grand risque. De nombreux militants du MRC ou d’autres partis vivent leur engagement au Cameroun sans atteinte à leur intégrité. Les pressions peuvent venir de leur famille, par peur ou par intérêt, mais le régime vous laisse relativement tranquille. De toute façon, il faudrait une organisation tentaculaire pour inquiéter tout le monde.
  • L’engagement absolu (voire téméraire) : Ce sont les figures emblématiques. Sur les réseaux sociaux par exemple. Elles n’hésitent pas à s’en prendre nommément à des gens. On y retrouve les figures emblématiques et les plus visibles dans les partis politiques On y retrouve également des activistes. S’il il devait y avoir un risque, il serait principalement pour cette catégorie.  Au-delà du fait que l’analyse montre qu’ils n’ont pas été inquiétés récemment, il n’est pas facile d’être dans cette catégorie, même quand on le veut. « Les places sont chères au soleil ». Et nous l’avons vu, il y a deux autres catégories pour pouvoir exprimer son engagement.

En résumé, et je m’adresse à ceux qui trouvent que la situation est inacceptable mais qui jusqu’ici hésitaient à s’engager par crainte de représailles, vous pouvez vous engager. Vous pouvez vous engager en accord avec le niveau de sécurité qui vous conviendra. Mon choix est celui du MRC. Vous pouvez vous en faire un autre. L’essentiel est que votre motivation pour le changement se matérialise concrètement. Vous pouvez vous engager. Parce que nous savons tous que ce n’est que par les actions que quoique ce soit pourra changer. La fable suivante l’exprime. 

Le lecteur attentif aura remarqué que le titre de cet article est « Je veux voir LES enfants grandir ». En effet, mes enfants sont peut-être importants. Mais le sont ils plus que ceux de mes frères et sœurs ? Le sont ils plus que ceux de mes voisins ? Le sont ils plus que ceux de mes compatriotes ? Peut-on dire qu’ils grandiront bien dans cet environnement où règnent la corruption, le népotisme et l’arbitraire ? Grandiront-ils bien si leurs diplômes ne sont ils plus un sésame vers une insertion professionnelle ? grandiront-ils bien s’ils peuvent se faire agresser et mourir bêtement à l’hôpital faute de 5000FCFA ? Nous pensons que non. Non seulement nous pouvons nous engager mais nous devons nous engager. Pour voir les enfants Camerounais grandir.

Les chroniques du jeudi : Je veux voir les enfants grandir...

N'ayons pas peur. Car en ne voulant pas perdre, nous perdrons gros : l’avenir de ces enfants. Nous voulons que cela change. Et pour cela, nous devons faire quelque chose que nous n’avons jamais faite : Engageons-nous ! Ce n’est que comme cela que les enfants pourront grandir dans de bonnes conditions…

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