« Raison d’Etat », « Faire respecter les institutions », « Attenter à la sécurité de l’Etat », « train de vie de l’Etat ». Les expressions de manquent pas, dans les fictions cinématographiques ou dans « la vraie vie » où des gens très importants parlent de l’Etat comme une entité supérieure. L’état c’est quoi ? Comment vit il ? Doit-il seulement vivre ? Si oui, pour quoi faire ? Ce sont là des questions essentielles dont les réponses formulées dans le présent article vont entrainer deux propositions paradoxales : L’existence même de l’Etat est une injustice sans nom ET L’absence d’Etat est une injustice sans nom. Venez avec moi résoudre ce paradoxe…

 

Le dictionnaire Le Robert propose deux définitions au mot Etat : L’autorité souveraine s’exerçant sur un peuple et un territoire déterminés et l’Ensemble des services généraux d’une nation. On retrouve déjà les notions sur lesquelles nous reviendrons d’essence et de rôle de l’Etat. D’aucuns pourraient avoir une autre définition, il est néanmoins indéniable que quand nous y pensons, nous voyons forcément des personnes (qui pour la plupart travaillent et font des choses), des bâtiments, des voitures, et d’autres attributs du même ordre. Tous ces éléments constitutifs de l’Etat qui est et agit représentent un coût : Les salaires et traitements des dirigeants et agents de l’Etat, l’entretien des propriétés de l’Etat, les budgets de fonctionnement de l’Etat, le carburant des voitures des ministres de l’Etat, le papier sur lequel sont imprimées les décisions de l’Etat, les dépenses que les gouvernants de l’Etat ordonnent pour l’action de l’Etat, etc. L’Etat c’est d’abord et avant tout ce qu’il coûte pour son fonctionnement et son action.

Ceci est indéniable. La question suivante est « Qui finance ce que coûte l’Etat ? » La réponse est simple : Ce sont les recettes de l’Etat. Celles-ci sont de trois ordres

  • Les recettes fiscales
  • Les recettes non fiscales
  • Les emprunts sur les marchés

Les recettes fiscales sont constituées des divers impôts et taxes. Les principaux impôts sont les impôts liés à l’activité des personnes (impôt sur le revenu, cotisations sociales) des entreprises (impôts sur les bénéfices, impôts de production, cotisations sociales), au patrimoine (taxes foncières, Taxes sur le patrimoine, taxes sur l’héritage, etc.) et à la consommation (TVA, etc.). On retrouve ces catégories dans tous les pays. En considérant que le Cameroun est le pays sur lequel on se focalisera.

 

Le tableau ci-dessous (données présentes ici) présente la répartition des types d’impôt.

Le paradoxe de l'existence de l'Etat...

Le principal contributeur au Cameroun (comme quasiment partout ailleurs) est la TVA suivie des impôts sur les autres biens et services (douanes, etc.) et l’Impôt sur le revenus. Si l’on analyse ces impôts, ils ont tous une caractéristique commune : Ce sont les moins fortunés qui les paient.

Prenons la TVA, elle consiste en une taxe sur la consommation payée par le consommateur. Le produit coûte 1000, vous payez 1200 et 200 sont reversés à l’Etat. Je n’ai pas trouvé les données sur les revenus par décile (découpage de la population par tranche de 10% puis calcul du revenu moyen de cette tranche) au Cameroun. Si l’on prend la France, on constate que l’écart entre le 8ème  et le 9ème  décile est plus important que l’écart entre le 1er et le 8ème décile. Et la dernière tranche est celle qui regroupe les cadres supérieurs et les plus riches (y compris les milliardaires).

Le paradoxe de l'existence de l'Etat...

Cela signifie que plus de 80% de la population dispose de revenus faibles ou moyens. Leur profil de consommation est équivalent. L’étude de FipEco (site de référence sur les finances publiques en France) indique également que chaque décile consomme un pourcentage quasi équivalent de son revenu (pourcentage un peu plus élevé pour le premier décile qui n’a pas moyen d’épargner).  

Le paradoxe de l'existence de l'Etat...

La structure économique du Cameroun me semble au moins aussi déséquilibrée (voire plus, si l’on regarde par exemple les coefficients de Gini ou le nombre de personnes dûment salariées). La première conclusion est donc que si l’Etat reçoit 1000 en TVA, les pauvres ou modestes y contribuent à plus de 80% en valeur absolue. La TVA est donc un impôt que les pauvres paient (première injustice). De plus, et on peut le voir sur la figure ci-dessus, en proportion de leurs revenus, c’est un impôt qui frappe plus les pauvres que les riches (deuxième injustice) : Un riche peut faire ce qu’il veut avec l’argent qu’il lui reste après sa TVA. Un pauvre est contraint dans ses dépenses. LA TVA est un impôt injuste payé par les pauvres.

Les impôts sur les biens et services fonctionnent de la même manière. Quand ils s’appliquent sur les produits finis (exemple, douane), ce sont les pauvres et modestes qui les paient car ils consomment le plus (en absolu et en proportion de leurs revenus), exactement comme dans le cadre de la TVA. Quand ils s’appliquent sur les matières premières, les intrants et les outils de productions, ils viennent alourdir le coût de revient du produit fini. Ce sont ensuite les pauvres qui achètent ces produits finis, car ils consomment plus, exactement comme dans le cadre de la TVA. Tous ces impôts qui s’appliquent sur les produits qu’ils sont amenés à consommés (douanes, impôts de production, etc) sont donc payés par les plus pauvres et les plus modestes. Les impôts sur les biens et services sont également injustes car payés par les pauvres.

Le troisième sur la liste au Cameroun est l’impôt sur les bénéfices des sociétés.  Ces sociétés vendent des produits (achetés donc par les pauvres, selon ce qui a été dit précédemment). Imaginons que leurs chiffres d’affaire valent 1000. Nous avons vu que plus de 80% de ces 1000 viennent des pauvres. Elles ont un bénéfice de 10. L’Etat prélève 2,5 sur ces 10. Plus de 80% de ces 2,5 viennent des pauvres et modestes. Les impôts sur les bénéfices et résultats sont également injustes car payés par les pauvres. A noter qu’avec ces hypothèses, l’Etat récupère 2,5 via l’impôt sur les bénéfices et 200 via la TVA.

L’impôt sur les revenus des personnes consiste en un prélèvement (dont le taux varie en fonction du revenu dans la plupart des cas). Les revenus sont ceux issus du travail (et donc financés par le chiffre d’affaires des entreprises, lui-même financé par la consommation des pauvres et modestes). Cet impôt est néanmoins le moins injuste si le taux appliqué aux plus riches est plus élevé que celui appliqué aux plus faible. Il n’en demeure pas moins que c’est un impôt dont la source vient encore en majorité des plus modestes. Il est également injuste.

Après ces recettes fiscales, on passe dans la catégorie des recettes non fiscales. Au Cameroun, ce sont principalement les royalties sur l’exploitation du pétrole et autres minerais. Sont-ce aussi des recettes injustes ? Pour répondre, demandons-nous à qui appartient ces ressources. Il n’y a aucune raison de penser qu’elles n’appartiennent pas à chacun des 30 millions de Camerounaises et de Camerounais. Nous avons eu une idée de la répartition de cette population en déciles. Cela signifie qu’au moins 27 millions de pauvres ou modestes sont les principaux propriétaires de cette ressource. Et donc des 800 Milliards FCFA (par exemple) que le pétrole a rapportés. Utiliser cet argent comme recette de l’Etat, c’est comme prendre 27000 FCFA à chacun des Camerounais. C’est encore plus injuste que la TVA car 27000 impactent plus les revenus d’un pauvre que d’un riche, proportionnellement.

Cette longue première partie nous a permis de voir, indubitablement, que l’Etat acquiert ses ressources en lésant les couches les plus faibles. Quelle que soit la nature de ces ressources. Et cela consacre l’injustice même de l’existence de l’Etat. Que faire alors ? Supprimer l’Etat ? C’est ce que de nombreuses pensées politiques ont prôné : des anarchistes en passant par les libertariens aujourd’hui.

Imaginons donc une absence d’Etat. Cette expérience de pensée est concevable. Et la situation a été vécue à travers les époques et les lieux. Dans cette configuration, imaginons les cinq situations suivantes.

  1. Des producteurs agricoles alimentent un marché situé à une cinquantaine de kilomètres. 9 des producteurs sont pauvres et ne disposent que d’une petite exploitation. Le dixième est riche et dispose d’une grande exploitation ainsi que tous les moyens de mécanisation. Les acheteurs au marché sont représentatifs de la population. La route se dégrade très fortement. Personne pour la réparer ou la construire. Résultats : Les petits producteurs ne peuvent plus sortir leur production qui pourrit au champ ou qu’ils sont obligés de brader au riche producteur. Le riche producteur achète un 4*4 et reste en mesure d’écouler sa production. Les vivres qui arrivent au marché ont un coût de revient supérieur (amortissement du 4*4) et en absence de concurrence (il n’y a plus la production des 9 petits paysans), les prix augmentent. La population ne peut plus se nourrir comme précédemment.
  2. Un des petits paysans veut étendre son champ sur un terrain à lui légué par son père. C’est ce qu’il pense, car le riche paysan a également des vues sur le même terrain. Comment cela va-t-il se régler en l’absence de cadre juridique ? Le riche va payer des gros bras pour venir menacer le petit paysan et s’appropriera le terrain. La loi du plus fort étant toujours la meilleure…
  3. Des brigands venus d’un territoire lointain attaquent la contrée. Pas d’armée ni de police pour défendre les habitants. Le riche loue la force de gros bras, et en fait même venir pour défendre ses biens. Les brigands le délaissent pour s’en prendre aux petits paysans qu’ils dépouillent. Ceux-ci perdent tout, sauf ceux qui allant demander la puissance du puissant, lui cède en outre un peu du peu qu’ils avaient initialement.
  4. Une nouvelle maladie frappe les habitants. Elle leur vient dit-on des animaux de la forêt qu’ils côtoient. D’autres pays l’ont rencontrée, mais ici c’est une première. En l’absence d’une coordination sanitaire, cette maladie décime les modestes qui ne savent pas comment réagir face à cette maladie absente de leur pharmacopée. Le riche quant à lui, va dans les pays voisins qui ont mis à disposition de leurs populations un traitement. Il survit quand ses modestes voisins périssent.
  5. Au-delà des cultures vivrières, nos planteurs ont toujours fait et continuent de faire le cacao. Hors la demande mondiale, qu’ils ne maîtrisent pas, est en très forte baisse pour une longue période. La demande de noix de cajou par contre est en forte hausse. Le riche paysan a l’information et se forme à cette nouvelle culture. En très peu de temps, il investit ce marché. Nos pauvres paysans ont du mal à avoir l’information. Et pour ceux qui, sentant le vent tourner, veulent imiter le riche, un déficit d’information et de formation sur les techniques rend laborieuses et quasi vaines leurs tentatives de bifurcation vers ce nouveau marché.

Ces exemples illustrent le fait qu’en l’absence d’Etat, les disparités entre pauvres et riches vont encore se creuser. Rendant dans certains cas simplement invivable la situation des plus démunis. Laisser prospérer cela est une injustice à leur encontre. L’absence de l’Etat est une injustice.

Nous voilà revenus à notre paradoxe introductif. Le développement nous a néanmoins permis d’entrevoir la solution à ce paradoxe : Il faut un Etat pour diminuer l’injustice qui consacre le creusement de l’écart entre riches et pauvres. Mais qui dit Etat, dit prélèvements dont les premières victimes seront ces mêmes pauvres. Il faut donc que l’apport de l’Etat, tel que ressenti par les couches modestes de la population, soit supérieur à ces prélèvements. C’est la seule solution pour sortir de ce paradoxe et ne pas contribuer à creuser ces inégalités. Et cette solution a deux exigences pour pouvoir être fonctionnelle :

  • Toute action de l’Etat ne doit être tournée que vers des objectifs évaluables et évalués de réduction de l’écart à combler. La non atteinte de ces objectifs concourra à creuser l’écart et sera contraire à la seule raison valable d’être de l’Etat : La corruption, la gabegie, le népotisme seront donc les premiers maux à combattre.
  • Tout prélèvement de l’Etat devra être limité au strict nécessaire à l’atteinte des objectifs suscités : Le « train de vie de l’Etat » ou le « prestige des institutions » ne sauraient être un objectif en tant que tel quand ils ne concourent pas à la réduction de l’écart.

 

Arrivés au bout de l’exercice, espérons que les lignes qui précèdent, sauront inspirer des projets de société qui transformeront les pays, à commencer par le Cameroun ? Espérons…

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