Au Cameroun, le chef de l’Etat fait deux choses de manière indubitable : Il donne des hautes instructions, et il fait des dons aux populations éperdues de reconnaissance. En échange, ces mêmes populations lui doivent respect due à « l’institution » qu’il est. Il en va de même pour tous les autres roitelets, ministres, DG, directeurs chacun dans son giron. Quand ils arrivent, on lance les « DG », « Prési » en espérant un farotage. De même, ils exigent en échange un respect dû aux rangs qu’ils occupent. Et obéissance ; dans la famille ils ont toujours raison.

Ils ont tort. Ceux que j’ai cités. Tous. Et tous ceux qui les accompagnent dans ce délire. L’erreur qu’ils commettent est de croire que c’est la position occupée qui donne la reconnaissance, alors que ce devrait la qualité de ce que l’on fait qui donne la reconnaissance. Nous l’allons montrer, comparaison n’est pas (toujours) raison, avec l’exemple du champ communautaire. Lisons…

Les chroniques du jeudi : Le champ communautaire...

Il était une fois, un champ communautaire. Situé sur les terres appartenant au village, il est l’œuvre de la décision des habitants du village. Ce champ leur appartient à tous et à chacun. Quand ils ne cultivaient qu’un hectare, c’était facile. Ils y allaient tous les jours (pas tous, mais les familles s’arrangeaient pour être équitablement représentées), se répartissaient les tâches et se partageaient équitablement la production.

Et le champ a grandi. Il fait aujourd’hui des dizaines d’hectares. Pour l’exploiter, il faut des machines et des outils. Donc il faut investir. Il faudra donc arbitrer intelligemment dans la répartition de la richesse produite entre le fonctionnement (salaires, intrants, etc.), les investissements (acheter une nouvelle machine, arranger une route qui permet d’extraire les produits du champ, etc.), et la redistribution aux villageois (les propriétaires du champ). Vue la quantité de travail, les villageois doivent se choisir quelqu’un qui va diriger l’exploitation agricole. Ils le choisiront selon des critères qui pourraient être l’intégrité, la compétence, la vision de ce que doit être l’exploitation. Ce responsable peut être appelé « Chef d’Exploitation ». Il peut s’adjoindre une équipe pour l’assister. Rien n’empêche de les appeler « ministres » (qui signifie littéralement serviteur) : Ministre des équipements, ministre de l’approvisionnement en semences, ministre de la comptabilité, etc. Ces différents ministres, selon la taille du champ, peuvent eux même avoir des équipes pour les aider. On peut les appeler « fonctionnaires » car ils remplissent une fonction. Cet ensemble de gens (tous issus du village) composent l’Administration de l’Exploitation.

Par rapport au champ d’un hectare, rien n’a changé. Le champ appartient toujours aux villageois, et ceux qui y travaillent sont au service de la communauté. Rien n’a changé, si ce n’est la taille, et donc l’organisation. Mais les principes restent identiques. En quoi cette métaphore du champ communautaire est pertinente pour parler de l’Etat me direz-vous ?  En tout :

  • L’Etat et le champ sont la propriété de la communauté
  • On appartient à la communauté par naissance ou parce que l’on a rempli les conditions nécessaires
  • Ceux qui ont en charge l’administration de l’exploitation ou de l’Etat sont choisis par la communauté
  • Ceux qui travaillent dans l’administration de l’Exploitation ou de l’Etat sont au service de la communauté. Ils ne sont pas les chefs de le la communauté. C’est la communauté qui est leur chef.
  • Les productions du champ ou de l’Etat sont la propriété de la communauté. Elles ne sont pas la propriété des agents de l’administration. Ceux-ci sont « juste » rétribués pour le travail qu’ils font.

Nous sommes intéressés par les commentaires que les lecteurs qui ne partagent pas cette métaphore ne manqueront pas de laisser. Continuons en revenant sur les caractéristiques du régime actuel évoquées en introduction.

Nous sommes intéressés par les commentaires que les lecteurs qui ne partagent pas cette métaphore ne manqueront pas de laisser. Continuons en revenant sur les caractéristiques du régime actuel évoquées en introduction.

  1. Les dons du Président : L'un des plus célèbres au Cameroun a sans doute été celui des ordinateurs aux étudiants : il s'agissait de fournir des ordinateurs à 500 mille étudiants. Le ministre, la presse publique ont présenté cela comme étant un don du chef de l’Etat. Faisons le parallèle avec notre champ. Le Chef de l’exploitation peut il faire un don aux propriétaires du champ ? Pour répondre à cette question, il y a deux questions (n’oublions pas que les Camerounais répondent aux questions par des questions). La première est « est ce que l’objet du don est une attente légitime des propriétaires du champ ? ». Les enfants du village sont-ils en droit d’attendre les ananas que le Chef de l’Exploitation vient leur « donner » ? Les étudiants Camerounais sont ils en droit d’avoir les conditions matérielles nécessaires à une instruction compétitive dans le monde du 21ème  siècle ? Les populations de Maroua sont elles en droit d’avoir une voirie en bon état dans leur cité ? Si l’on répond oui, alors il ne peut s’agir d’un don. Il s’agit d’un dû. Le propriétaire du champ exige telle quantité d’ananas ou de plantains. C’est un dû. Et non pas un don quand il les reçoit. Sauf si ne les recevant jamais, le devoir accompli devient miracle. La seconde question est « qui finance ces soi-disant dons ? ». Si c’est le chef de l’Exploitation, avec son argent, la question qui suit est « est-il correctement payé ? » On peut être bon et généreux. Mais qu’a-t-on fait pour avoir des émoluments qui se comptent en milliards de FCFA (les ordinateurs aux étudiants ont coûté 75 Milliards de FCFA) alors que plusieurs des propriétaires sont dans la misère ? Cette option pose un réel problème de gouvernance. Mais si ce n’est pas son argent, alors c’est un problème encore plus grand. Pour le cas des ordinateurs, il s’agit d’un prêt consenti par la Chine. Et c’est présenté comme un « don ». Si c’était issu des recettes de l’Etat, ce ne serait déjà pas un don. Ici, les propriétaires et leurs descendants devront s’investir pour rembourser cet emprunt. Et le chef de l’Exploitation affirme que c’est un don. Il en va de même pour la voirie de Maroua, et de tous les autres « dons ». S’attribuer les biens d’autrui doit porter un nom dans les différents codes de loi…
  2. Les hautes instructions du Président : Les hautes instructions sont les choses les plus incroyables du régime. Si ça tombe, tu dois arrêter tout ce que tu faisais pour les appliquer (même si c’est illégal). Si ça ne tombe pas, tu peux ne rien faire. Le dernier discours du Nouvel an du Chef de l’Etat en est une parfaite illustration. Il a mentionné qu’il avait instruit, prescrit, donné des instructions à au moins 8 reprises. Il a même dit que ses précédentes instructions n’étaient pas suivies d’effet. Ça ne l’a pas empêcher de recommencer.
Les chroniques du jeudi : Le champ communautaire...

Imaginons le Chef de notre Exploitation agricole qui vient faire un point de situation aux villageois, les véritables propriétaires. Face aux manques de résultats, il leur dit (à 8 reprises) qu’il a instruit à son ministre des semences de se dépêcher d’en acheter, qu’il a instruit encore une fois, à son ministre de l’arrosage d’arrêter de voler l’eau, qu’il a instruit à son ministre du creusage des trous de désormais creuser à la bonne profondeur. Que penseront nos braves villageois ? Ils penseront que

  • Le Chef de l’Exploitation se défausse sur les autres. C’est lui le responsable. Les résultats ne sont pas là, et il n’envisage même pas que nous puissions penser que c’est à LUI de rendre les comptes.
  • Le Chef de l’Exploitation pense que son travail consiste à prescrire.
  • Le Chef de l’Exploitation ne contrôle rien. Il pense que quand il parle, les choses se font. Il ne s’assure même pas que c’est fait.
  • Le Chef de l’Exploitation ne se prend pas pour n’importe qui. Sa parole est performative

Ce qui nous mène au point suivant.

3. Le Président est une institution (c’est le poste qui doit imposer le respect) : Nous l’avons vu, c’est une logique biaisée d’exiger le respect du simple fait de la position que l’on a. Les villageois respecteront le chef de l’exploitation si et seulement s’il produit au minimum ce qui était raisonnablement attendu. Autrement, les villageois ne penseront qu’à le virer. Il en va de même pour les ministres. Soyez de grands types et de grandes dames parce qu’aux bornes de vos départements ministériels, vous produisez de bons résultats. La logique inverse qui exige le respect a priori voire la soumission des populations est le gage que les résultats attendus.

 

Nous l’avons vu, ces trois éléments, qui sont au centre de la gouvernance actuelle, sont des gages que le système actuel ne marche pas et ne marchera pas. Aucun de nous n’accepterait cette gouvernance pour son champ ou pour le champ de sa communauté. Notre pays est certainement plus important que tout champ. Il n’y a donc pas de raison, une fois que l’on a bien compris cette métaphore, que l’on puisse continuer d’accepter cette gouvernance. Amadou Kourouma a dit « quand on refuse, on dit non ». Dire non, c’est choisir une autre option. La mienne c’est le MRC. Nous y reviendrons…

2025 ou avant…           

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