« Tu veux le changement ? Il faut d’abord commencer par changer les Camerounais. ». Les Camerounais sont ceci, ils sont cela. Des opinions tranchées qui conditionnent le changement à une évolution préalable des mentalités. Parce que « même si on enlève Paul Biya, on ne pourra rien faire avec ces gens. Est-ce que c’est Paul Biya qui vole dans les administrations ? ». Sont dépeints là de petits monstres. La suite de l’article s’attellera à montrer que ce ne sont pas les Camerounais qui sont des monstres, mais les créateurs du système dans lequel ils évoluent. Pour les mentalités comme pour le reste, il faut commencer par changer ce système RDPC…

Commençons par un petit exercice, avec deux situations similaires.

  • Docteur, ma mère est malade. Sa situation ne semble pas s’arranger. Qu’est-ce que vous proposez ?
  • Docteur, ma mère est malade. Sa situation ne semble pas s’arranger. Qu’est-ce que vous proposez ?
  • Monsieur, effectivement, les traitements que nous avons essayés jusque-là ne donnent rien. Son foie est bien atteint.
  • Monsieur, effectivement, les traitements que nous avons essayés jusque-là ne donnent rien. Son foie est bien atteint.
  • On ne va quand même pas rester là sans rien faire. Elle souffre !
  • On ne va quand même pas rester là sans rien faire. Elle souffre !
  • Il y a bien un traitement…
  • Il y a bien un traitement…
  • Oui, expérimental. Tenez, regardez-en les caractéristiques sur mon écran.
  • Oui, expérimental. Tenez, regardez-en les caractéristiques sur mon écran.
  • Hum. Ça coûte deux fois mon salaire. Quelles sont les chances de succès ?
  • Hum. Ça coûte deux fois mon salaire. Quelles sont les chances de succès ?
  • Faibles. Peut-être 30%.
  • Faibles. Peut-être 30%.
  • Je vois. Le dernier traitement avait théoriquement 60% de chances de réussite. Il n’a pas marché. Je vais rentrer avec ma mère. Vous pouvez nous prescrire des anti-douleurs ?
  • Je vois. Le dernier traitement avait théoriquement 60% de chances de réussite. Il n’a pas marché. Mais on va quand même essayer. Je vais poser des congés pour la soutenir. On doit tout essayer.
  • Très bien, vous retournez à Douala, sur les berges du Wouri ?
  • Très bien, vous retournez à Genève, sur les berges du lac Léman ?
  • Oui, c’est le lieu qu’elle considère comme chez elle. C’est là qu’on va attendre.
  • Oui, c’est le lieu qu’elle considère comme chez elle. Nous reviendrons dès lundi pour commencer le traitement.

Deux cas dans une situation similaire. Dans un des cas, le fils décide de laisser sa mère mourir. Alors qu’il y a encore des chances d’avoir un traitement. N’est ce pas là un monstre ? On juge un monstre sévèrement. Le juge t’on toujours aussi sévèrement si on sait qu’il vit dans une situation où il est le seul à travailler dans son couple avec quatre enfants. Qu’il a quatre frères et sœurs et qu’aucun n’a une situation stable, et que tous comptent sur lui pour les aider. Qu’il vit dans un pays qui n’a pas de couverture maladie par défaut et aucun filet social. Pas d’argent pas de soins. Alors oui, certains dans son cas feraient tous les efforts, s’endetteraient pour financer ce traitement. Mais statistiquement, combien seraient-ils ? 10%% 20% ? 70% ? Même si c’était le cas, 30% d’une population peuvent ils être qualifiés de monstres ? Leur comportement n’est il pas plutôt le résultat des conditions de vie et des contraintes qu’ils endurent ?  Bref du système ?

S’ils vivaient en Suisse, ils bénéficieraient d’une assurance maladie. Ce n’est donc pas eux qui auraient à payer. Quand bien même, leurs frères et sœurs ne seraient pas à leur charge et ils bénéficieraient de prestations sociales pour les aider à s’occuper des enfants en cas de moyens insuffisants. Combien d’entre eux choisiraient alors le traitement pour leur mère ? 95% ? 100 ? Comme on le voit, il ne s’agit pas de dire que dans un cas (Cameroun), les gens sont des monstres et que dans l’autre (Suisse ou pays équivalent), les gens sont des anges aimant leur mère. Les individus réagissent en fonction des contraintes. Et face aux mêmes contraintes, il est statistiquement possible de prédire les options que les gens choisissent. Et les contraintes et le contexte que l’on doit affronter au Cameroun sont issus du régime politique RDPC

Nous avons dit que cet exemple était censé illustrer notre thèse qui était que les comportements sont les réponses statistiques aux contraintes d’un système. Et que plus ces contraintes sont mauvaises, plus les comportements seront mauvais.  C’est statistique. Appliquons cela aux autres travers que l’on reproche aux Camerounais.

L’un de ces travers est sans conteste la corruption et la prédation des deniers publics. Elle est rampante. Et elle semble progresser. Un philosophe de regrettée mémoire a même parlé de « Mapartisme », qui consiste pour chacun à chercher sa part. Ce sont des monstres ou est-ce dû au système ? Quelles sont les caractéristiques de ce système ?

  • Le mauvais exemple : Bon nombre de ceux qui s’adonnent à la corruption ont leur chaîne hiérarchique, jusqu’au plus haut niveau qui s’y adonne également. Parfois cette chaine hiérarchique leur demande de remonter « leur part ».
  • L’obligation (argent liquide, retro commissions, tracasseries administratives) : Le système crée des quasi-obligations de corrompre. Vous voulez un service, les tracasseries administratives, les lenteurs vous obligent à corrompre pour obtenir un dû. Vous voulez vos salaires suite à votre intégration dans la fonction publique, ils sont bloqués sauf si vous « accélérez » le dossier. L’agent chez qui vous accélérez fait remonter les quote-part dues au-dessus. Vous souhaitez le paiement de vos factures, les agents comptables ne les traiteront que si vous leur donnez leur part.
  • La création de tentations : Vous travaillez dans une administration, et tous vos collègues font ce qui est décrit dans le paragraphe précédent. C’est même vous qui êtes vus bizarrement, voire de façon hostile. Rien ne leur arrive. Quelles sont les chances statistiques pour que vous vous mettiez à faire pareil ?
  • Impunité : Personne ne croit vraiment que la corruption est punie. L’agent voit que ses chefs ne sont pas punis. Quand l’un d’eux est pris, il est impossible d’écarter les motifs politiques ou de guerre de clans dans sa mésaventure. Personne ne se dit donc que ça peut lui arriver. Ceux qui sont plus bas se font prendre quand ils ne sont pas couverts ou quand il faut un bouc émissaire. Et on voit tous ceux qui continuent de s’enrichir à peine arrivés à des postes juteux. Sans parler du fait que pour les cols blancs, les autorités compétentes ne poursuivent qu’après avoir reçu un OK formel des politiques.  
  • Absence de pilotage : Si un véritable pilotage par la performance existait (vous devez traiter tant de dossiers en tant de jours, et aucun dossier ne doit attendre plus tant de jours par exemple), les possibilités de corruption seraient notablement amoindries.

Dans un tel contexte donc, il est statistiquement normal que la corruption soit ambiante, même si ce n’est pas « Paul Biya qui est dans le bureau du formulaire machin ». Ce système produit la corruption, et il entraîne l’effet boule de neige où les nouveaux entrants se diront que pour prospérer, il faut faire la corruption. Voilà une mentalité créée. Pour que ça change, il faut travailler sur les différentes raisons évoquées. Et ce travail est politique. Comme ces causes sont politiques. Et on empêchera les acteurs actuels de s’adonner à la corruption. Et les nouveaux entrants se diront que pour prospérer, il n’y a que le travail. On créera une autre mentalité.

Il en va de même pour les autres travers attribués aux Camerounais. La méchanceté et l’envie d’autrui que Vanister Enama nous demande de ne pas avoir ne sont elles pas d’expression plus faciles si je n’ai rien, et je ne vois aucune solution à l’horizon. Il peut m’apparaître « injuste » qu’un autre s’en sorte. Comment fait-il ? Les sociologues ont identifié ce biais qui consiste à dire que « Mieux on perde tous ». C’est humain, et cela s’exprime statistiquement quand l’écosystème crée ces contraintes.

De même pour l’indifférence au sort des autres. On a vu des vidéos où des gens ignorent un corps couché par terre, trop occupés à vaquer à leurs affaires. Il en va de même pour la perte des « valeurs morales ».  Comment se fait il qu’un père encourage sa fille à la prostitution ? Comment se fait il que les filles aient tant le « sang à l’œil » devant le porte-monnaie des gars ? Lectrices, lecteurs, pensez-vous que les comportements seraient statistiquement les mêmes si le système produisait les possibilités à tout un chacun de mener une vie décente et digne par son travail ? Après ce qui précède, il sera clair que non.

Nous l’avons vu, les Camerounais ne sont que des humains comme les autres. Ils réagissent comme d’autres humains réagiraient. Ils réagissent en fonction du système. Si nous voulons un changement de mentalités, vous l’avez compris, la solution est dans un changement de système. Il faut changer ce système RDPC. Ce sont les leaders de ce système qui sont les monstres qui produisent ces comportements. Ce changement est le préalable (non suffisant) pour l’avènement de ce changement. Ce changement sera suffisant si ceux qui viendront sont sérieux, clairvoyants et appliqués à la tâche. Je pense que Le MRC et son leader M. Kamto correspondent à cette description. Nous aurons le temps d’y revenir.

2025 ou avant…           

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