L'extrait qui va suivre est issu d'un roman en cours d'écriture. En espérant qu'il soit utile...

De fines gouttes de sueur perlaient de son visage. Agrippant les draps des deux mains, Mbengon se contorsionnait en émettant un râle rauque. Les hanches cambrées en avant, les jambes repliées, elle retenait son souffle. Elle avait mal. Très mal. Une douleur atroce. Comme tous les mois. Comme des millions de ses compatriotes. Comme des centaines de millions de femmes dans le monde. Ce n’est que deux années plus tôt qu’elle avait pu mettre un nom sur le mal dont elle souffrait : l’endométriose. C’est une jeune et brillante gynécologue qui le lui avait révélé. Depuis, avec le sérieux d’une enquête spéciale, Mbengon avait  enquêté sur cette maladie. Elle avait cherché, exploré internet, regardé des vidéos, lu des articles. Elle savait tout. Elle savait qu’il s’agissait du développement du tissu utérin à l’extérieur de l’utérus. Pourquoi ? La cause n’était pas sûre. Les symptômes l’étaient eux, nombreux et variés. Toutes les femmes atteintes ne les avaient pas de la même manière. Règles douloureuses. Voire très douloureuses. Douleurs lors des rapports sexuels, fatigues, difficultés voire impossibilité à concevoir. La liste était longue. Combien de femmes avaient été stigmatisées à travers les lieux et les époques ?

Mbengon avait constaté qu’elle les avait tous, ces symptômes. Et ça durerait jusqu’à la ménopause. Mbengon avait encore quelques années devant elle. Elle était jeune. Mais elle était rassurée, maintenant qu’elle pouvait mettre un nom et qu’elle savait qu’elle n’était pas la seule. Elle ne les avait pas vues souffrir pendant leurs règles, mais elle faisait maintenant le lien avec sa grand-mère et ses sœurs qui avaient tant de mal à enfanter. Sa grand-mère avait passé dix ans dans son mariage sans faire d’enfant. Son époux, contraintes obligent, avait pris une seconde épouse qui avait eu plusieurs enfants tout de suite. Avant que la première épouse ne conçoive et enfante enfin. Mbengon se demandait souvent comment elle, et les autres avaient pu surmonter tout cela. Environ dix pour cent des femmes en souffraient.

Dix pour cent. C’est beaucoup, et c’est peu. Quand on grandissait dans un environnement qui exigeait de la fille, future femme, qu’elle soit forte et debout pour s’occuper de la maison, il n’était pas audible que celle-ci se plaigne de ses règles. « Supporte », « Tu ne vois pas tes sœurs ? », « ça c’est même quelle qualité ? ». Autant de reproches, de piqûres qui l’avaient recroquevillée sur elle. Elle avait développé un sentiment de honte. Personne ne la comprenait. Les jeunes filles semblaient bien vivre leurs règles. Elle, pleurait pour ne pas aller à l’école quand elle les avait. Plusieurs fois, elle était même tombée dans les pommes. Heureusement, les règles ne duraient que cinq jours à chaque fois. Malheureusement, ce n’était pas tout.

Alors qu’adolescentes, puis jeunes femmes en fleur, les filles de sa classe d’âge, sœurs, cousines et camarades, s’éveillaient aux merveilles de l’amour, du regard tendre des garçons et à leurs caresses, Mbengon les fuyait comme la peste. Il y en avait qui lui plaisaient bien sûr. Il y en a même eu qui lui avait plu plus que les autres. Téméraire, elle avait pris les devants, quand ses copines attendaient minaudant que l’autre les approche. Ils s’étaient retrouvés chez lui. Elle avait eu mal. Horriblement mal. Elle avait tout arrêté. Il n’avait pas compris. Il l’avait traité d’allumeuse. Et puis, il y avait eu cet autre. La même histoire. Elle n’avait pas eu envie de revivre ça. Depuis lors, elle les avait fuis. Plus elle grandissait, plus elle devenait sublime, son côté inaccessible lui avait vite donné la réputation de pétasse crâneuse qui ne faisait jamais rien comme les autres. Et pour se protéger, elle avait laissé faire. Passant parfois à côté de belles histoires.

Au deuil, elle s’était dit qu’elle pouvait peut-être en vivre une, une belle histoire, avec Ambroise. Elle avait été séduite quasiment instantanément. Il la regardait tendrement. Il avait l’air doux. Elle s’était dit qu’elle essaierait. Après tout, elle avait eu quelques rapports agréables. A défaut d’être jouissifs. Ses seules jouissances arrivaient par ses caresses, qu’elle s’était autorisée à faire sous les recommandations de la jeune gynéco. Mais Ambroise n’avait pas été comme imaginé. Une fois dans la chambre, il s’était transformé en brute. Elle avait eu mal. Elle lui avait demandé d’arrêter. Il l’avait traité d’allumeuse. Elle avait dû le menacer de son arme pour avoir la paix pour le reste de la nuit. Elle n’avait pas eu pitié de lui quand Bango l’avait maltraité. Elle n’avait pas eu de pincement au cœur en apprenant sa mort. Elle se demandait parfois si elle était déréglée. Foutue endométriose.

Au moins souhaitait elle faire connaître cette maladie encore confidentielle. Que plus aucune fille qui en souffrirait ne reste à se morfondre. Se morfondre parce que neuf filles sur dix autour d’elle ne sauraient pas de quoi elle parle. Et que la dixième se cacherait comme elle. Parce que les reproches viendraient d’hommes ou de femmes, les mamans, déjà ménopausées, qui auraient donc oublié la dureté des douleurs pour celles qui les auraient eues. Elle avait rejoint une association. Mebene, sur le modèle de ce qu’il faisait avec les moto-taximen les aidait à grandir. Compréhensif commissaire. Il la couvrait quand elle avait trop mal pour aller au travail. Il lui inventait des missions opportunes. Elle prit son téléphone pour l’appeler et le prévenir qu’elle ne viendrait pas ce matin-là. Elle avait mal…

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