Pour les droits des femmes, Contre les célébrations du 8 Mars au Cameroun...
05 mars 2020Au Cameroun, le 8 Mars est « la journée de la Femme ». C’est la déclinaison locale de la journée internationale des femmes (selon l’ONU) ou la journée internationale des droits des femmes (selon certains pays comme la France). Le Cameroun a sa manière de marquer le coup. Cette manière ne fait pas progresser la cause des femmes. Et en 2020, elle porterait même un coup terrible à la cause des droits de la femme au Cameroun.
La suite de l’article se propose d’exposer pourquoi, pour la cause des droits de la femme, il faut boycotter les célébrations habituelles du 8 mars au Cameroun…
J’ai grandi au Cameroun. Etant égalitariste et contre toute discrimination, je suis naturellement contre celles faites aux femmes et je suis même pour une égalité stricte entre hommes et femmes. Et ce sur tous les plans. Je l’ai écrit à de nombreuses reprises, dont ici.
Nous sommes tous des féministes... - le blog mebene
J'ai été invité par Le Pas Féminin à intervenir dans un débat sur le thème " Le ou Les féminismes ? Quels fondements, quelles réalités ? ". C'est probablement cet article écrit à la nai...
http://mebene.over-blog.com/2018/03/nous-sommes-tous-des-feministes.html
J’ai grandi au Cameroun, et c’est tout naturellement que ma conception initiale du 8 Mars était celle qui y a trait. Après le Cameroun, d’autres horizons. Lors de ma première année professionnelle, j’ai souhaité « bonne fête » à un certain nombre de collègues femmes. Certaines avaient réagi avec plaisir. Aujourd’hui je ne le fais plus. Car j’ai depuis eu le temps de réfléchir sur le sens que cette journée devrait avoir…
Qu’est ce que le 8 Mars ?
Le 8 mars est une journée obtenue après de nombreux combats, qui vise à faire avancer la cause des droits des femmes à travers le monde. Elle est donc louable. Et toute initiative allant dans cet objectif l’est tout autant. Pourtant, cette journée fait l’objet, à travers le monde, d’un certain nombre de critiques.
Personne ne semble remettre en cause l’objectif déclarer de la journée. Et pourtant les critiques existent et se font de plus entendre. Elles sont de deux ordres. La première est liée au fait que les pratiques en vigueur ce jour-là n’ont souvent rien à voir avec l’objectif : Promotions dans les salons de coiffure et autres initiatives pou écouler des produits, souhaits de « bonne fête de la femme » (c’est quand la fête des hommes), alors même d’après l’objectif, il ne pourrait s’agir d’une fête. La seconde critique est liée au fait que la focalisation sur un jour peut reléguer au second plan les 364 jours où il faudrait également se battre pour ces droits.
Vous trouverez ici un verbatim résumant cela, et là une vision critique du traitement médiatique en France le 8 Mars dernier et enfin une vidéo résumant l’ensemble.
Ces remarques, réserves, critiques n’épargnent pas le Cameroun où de nombreuses voix se lèvent pour essayer de ramener la journée vers son sens originel. Il faut dire qu’au Cameroun, les pratiques sont particulières, et quasiment uniques au monde…
Le 8 Mars au Cameroun
En plus de ce qui précède, le Cameroun présente des particularités. Une principalement, mais qui entraîne beaucoup de conséquences. Cette particularité c’est le DEFILE. Au Cameroun, le 8 mars les femmes défilent.
Il n’y a que 4 occasions défiler officiellement : La fête de la jeunesse le 11 février où les jeunes, principalement via leurs écoles, défilent. Le 20 mai, fête nationale (armée, partis politiques, autres corps intermédiaires) et le 1er Mai fête du travail où les travailleurs, via leur entreprise battent le pavé. On pourrait ergoter sur le fait que les défilés sont de nature à rappeler certains types de régime, ou que les hommes n’ont pas de jour de défilé, ou se demander en quoi ce défilé contribue à améliorer les droits des femmes. La question n’est pas là. La question est dans le fait que pour défiler il faut un pagne…
Et le pagne c’est toute une histoire. Comment l’obtient on (et ici je ne dis pas « à qui profite cette manne financière ? »)? Idéalement, si on veut défiler, on l’obtient en l’achetant soi-même. Au Cameroun, les conditions économiques et la représentation sociale place l’homme en position de pourvoyeur financier : la femme doit s’occuper du foyer, et l’homme doit payer ce qu’il y a à payer. Pour schématiser. Malheureusement, la question du pagne qui devait concourir à améliorer les droits, concourt plutôt à augmenter ce gap entre hommes et femmes. En effet, il n’est pas rare (plénonasme) que ce soit à l’homme (mari, petit ami, amant, etc) d’acheter ledit pagne. Une petite recherche dans le plus grand groupe Facebook Camerounais l’illustre.
Ce n’est pas tout. Une fois le pagne acheté et le défilé effectué, que peut on faire. Et bien en ce 8 Mars, « fête de la femme », on soulève. Soulever le Kaba, cette robe ample cousue avec le pagne. Ce jour-là, on peut soulever, et montrer ce qu’on veut aux hommes.
Et en soulevant, on peut aussi boire jusqu’à plus soif. Bref c’est la fête ! D’aucuns diraient même débauche. Pas moi. N’ayant pas l’habitude de porter des jugements moraux sur autrui. Par contre, si l’on aime soulever, ou boire comme un€ trou, pourquoi seulement ce jour-là ? N’est ce pas déjà limiter les droits des femmes que de dire « le 8 mars j’ai enfin le droit de faire ce que je veux » ? Ne signifie t’il pas aussi, les autres jours je dois refréner mes envies ?
Chacun pourra avoir sa réponse, mais on devrait pouvoir convenir sur le fait que ces manifestations (défilé, principe du pagne et soulèvement) ne concourent pas à améliorer les droits de la femme, et pour certains concourent à les dégrader. On me rétorquera alors « Il n’y a pas que ça ! Il y a aussi les tables rondes thématiques ! »
Au Cameroun, le 8 Mars a en effet son thème chaque année et c’est l’occasion de nombreuses conférences pour sensibiliser hommes et femmes. Notons que ces thèmes sont en général différents de ceux retenus par l’ONU, mais ce n’est pas forcément plus mal. En 2020, le thème au Cameroun est
http://www.minproff.cm/08-mars-journee-internationale-de-la-femme/
Thème : « Promotion de l’égalité et protection des droits de la femme à l’horizon 2020 : dresser le bilan des actions menées, fixer un nouveau cap »
Thème intéressant, mais qui entraîne des questions. Quelles sont ces actions menées, et quels sont les éléments du bilan ? Ma mémoire et une recherche sommaire ne m’ont pas aidé. Je suis donc allé sur le site de la ministre. L’endroit le plus étayé, sans pour autant être précis, est la rubrique programme qui rappelle des généralités et les instruments juridiques. Le lecteur se fera son avis. J’ai ensuite consulté la rubrique « statistiques » pour obtenir éventuellement les stats permettant de faire le bilan. La consultation des actualités de la ministre ou les archives ne nous en apprennent pas plus. Peut-être n’est ce pas sur le site mais par voie de presse qu’elle communique ? Comment les animateurs de table ronde sauront de quoi ils parlent quand il s’agira de parler des actions menées ?
En 2020, je n’ai rien trouvé. En 2019, j’ai trouvé un article où le thème est rappelé (« Croisade contre les inégalités de sexe : S’arrimer à la nouvelle impulsion. »). Mais le plus important dans le discours de la ministre, c’est le pagne. En 2018, autre très bon thème (« Intensifier la lutte contre les discriminations à l’égard des femmes, renforcer le partenariat pour le développement durable »). Là la ministre précise que le pagne n’est pas le plus important. C’est le défilé. Peut-être la faute aux journalistes qui en ont fait les relations ?
Toujours est il que si ces conférences existent, il n’est pas certain du tout qu’elles contribuent à améliorer la situation. Du moins, le site de la ministre ne permet pas de nous aider.
En cherchant des statistiques d’autres sources (y compris des délégations régionales dudit ministère), on apprend (on confirme devrait-on dire) pourtant que le nombre de femmes battues est très élevé (4 femmes sur 10 sont battues au moins deux fois par mois par leur époux à Douala) et qu’elles refusent de porter plainte.
On peut encore à ce stade argumenter sur l’utilité de ces débats thématiques. Mais l’adhésion ne peut continuer quand on sait qu’au Cameroun, il y a de graves conflits armés (si l’on ne veut pas dire guerre) en ce moment…
On ne peut pas célébrer en 2020
Au Cameroun il y a au moins trois zones de conflits armés : Le NOSO, qui a déjà fait des centaines de milliers de déplacés internes, des dizaines de déplacés internes et des milliers de morts. Il y a encore de nombreuses exactions dues à Boko Haram dans l’Extrême-Nord du pays ainsi qu’à l’Est du pays. Il est largement documenté que les situations de conflits armés ou d’instabilité fragilisent d’abord et avant tout les populations déjà fragiles. A savoir les enfants et les femmes ici. Bien évidemment c’est le cas dans les régions anglophones avec les morts et les déplacés. Bon nombre de ces filles sont obligées de se prostituer. Plus au Nord, Boko Haram continue de sévir, avec des enlèvements de femmes, des mutilations et autres sévices spécifiquement tournés vers les femmes.
Mentionnons aussi la situation politique, avec des arrestations dont la légitimité peut être contestée. En 2019 plusieurs centaines de personnes, dont de nombreuses femmes ont été arrêtées. Leur libération est intervenue sans que leur détention ait été justifiée. Plusieurs ont été meurtris dans leur chair, comme Michèle NDOKI qui a reçu une balle. En 2020, d’autres militants politiques ont été arrêtés, parmi lesquels Rosange JIMEGNI. L’arrestation d’une femme est un message. Ces femmes qui ont subi comme de nombreux hommes la situation politique, n’ont peut-être pas subi cela uniquement parce qu’elles étaient des femmes. Mais le fait qu’elles soient femmes concourt à envoyer des messages aux autres : Si on fait ça à vos femmes, vos mères, que vous fera-t-on à vous messieurs ?
En 2020 donc, pour toutes ces raisons, on ne saurait se résoudre à ces célébrations qui peut-être ne font pas grand mal (défilé, soulever, picoler, débattre), mais qui sonnent comme un pied de nez à toutes ces femmes dont la situation a empiré dramatiquement. On ne peut pas faire la fête. C’est impossible…
Je dis donc qu’on ne peut pas participer aux célébrations du 8 Mars 2020 au Cameroun. Ce n’est pas possible si on veut une amélioration de la situation des femmes dans ce pays…