Imaginez que vous trouviez un anneau qui, une fois à votre doigt, vous rend complètement invisible. Vous serait-il d’une quelconque utilité ? En d’autres termes, pourriez-vous être amené à agir différemment en étant invisible ? Avant de répondre, j’invite les lectrices et les lecteurs à cheminer un petit moment pour examiner cette question à la lumière du message de Jésus, en cette journée pascale…

L’histoire de l’anneau se trouve dans la République de Platon où Glaucon soutient contre Socrate que selon laquelle commettre l'injustice est profitable (et sans aucun doute plus profitable que la subir) et que la justice est instituée par les faibles pour se défendre face aux forts. Il présente alors l’expérience de pensée de l’anneau de Gygès qui rend invisible. Il soutient que tous ceux qui l’auraient commettraient bien plus d’injustices, puisque certains de ne pas se faire prendre. Il ajoute même que ceux qui ne commettraient pas plus d’injustices sont en fait des idiots et qu’ils se feraient moquer. Est-ce le cas ? Commençons par lire Mathieu 21, 23-42.

21.23

Jésus se rendit dans le temple, et, pendant qu'il enseignait, les principaux sacrificateurs et les anciens du peuple vinrent lui dire: Par quelle autorité fais-tu ces choses, et qui t'a donné cette autorité?

21.24

Jésus leur répondit: Je vous adresserai aussi une question; et, si vous m'y répondez, je vous dirai par quelle autorité je fais ces choses.

21.25

Le baptême de Jean, d'où venait-il? du ciel, ou des hommes? Mais ils raisonnèrent ainsi entre eux; Si nous répondons: Du ciel, il nous dira: Pourquoi donc n'avez-vous pas cru en lui?

21.26

Et si nous répondons: Des hommes, nous avons à craindre la foule, car tous tiennent Jean pour un prophète.

21.27

Alors ils répondirent à Jésus: Nous ne savons. Et il leur dit à son tour: Moi non plus, je ne vous dirai pas par quelle autorité je fais ces choses.

21.28

Que vous en semble? Un homme avait deux fils; et, s'adressant au premier, il dit: Mon enfant, va travailler aujourd'hui dans ma vigne.

21.29

Il répondit: Je ne veux pas. Ensuite, il se repentit, et il alla.

21.30

S'adressant à l'autre, il dit la même chose. Et ce fils répondit: Je veux bien, seigneur. Et il n'alla pas.

21.31

Lequel des deux a fait la volonté du père? Ils répondirent: Le premier. Et Jésus leur dit: Je vous le dis en vérité, les publicains et les prostituées vous devanceront dans le royaume de Dieu.

21.32

Car Jean est venu à vous dans la voie de la justice, et vous n'avez pas cru en lui. Mais les publicains et les prostituées ont cru en lui; et vous, qui avez vu cela, vous ne vous êtes pas ensuite repentis pour croire en lui.

 

Dans ce passage, Jésus semble opposer la justice des Hommes à celle de Dieu. A deux reprises. D’abord quand il s’agit de dire quelle était l’autorité avec laquelle Jean-Baptiste agissait. Ensuite, quand il agit en public (dire oui) différemment de quand il agit en privé (faire non). Il me semble que c’est exactement la même question que celle de l’anneau de Gygès. Vais-je me comporter aussi bien si on ne me voit pas que quand on me voit ? Vais-je répondre quelque chose avec lequel je ne suis pas en accord parce que je suis devant l’assemblée des Hommes ? Connaissant la loi de Dieu, vais-je agir contre parce que personne ne me voit ? Ou bien parce que « tout le monde ferait pareil » ?

Je ne dispose pas de statistiques indiquant d’après des études sociologiques la part des gens qui agiraient différemment. Le phénomène est néanmoins connu. On parle notamment de l’effet témoin et des différents effets qui neutralisent la culpabilité. Ce qui est en jeu, c’est la définition même de la justice. Quand on agit différemment parce qu’on est invisible, c’est que l’on considère que la justice c’est ce que nous devons faire quand nous sommes observés. Ce n’est évidemment pas la vision de Jésus.

On pourrait me rétorquer que c’est aux fruits que l’on juge l’arbre. Les fruits c’est ce que les gens mangent. C’est ce que les gens voient. Je lèverais néanmoins deux bémols.  

Le premier est que quand on pense le bien doit être fait quand les gens nous voient, on peut très rapidement développer une personnalité double. Ange en public. Démon en privé. La société vous voit comme un bon chrétien, qui va à l’église, qui respecte les autorités, qui donne l’aumône. En privé, vous martyrisez votre personnel, vous maltraitez votre famille, vous arrachez les biens des autres, vous corrompez, vous vous faites corrompre, vous planifiez l’assassinat d’autrui. Les gens ne vous voient pas, mais ce sont là des entorses à la justice que Jésus exige : j’ai péché, en pensée, en paroles, par action et par omission.

Le second est que vouloir être juste en société peut entrainer de se comporter conformément à ce que la société attend. A ses normes. Et dans bien des cas, la société a produit des normes, des habitudes, des recommandations qui étaient contraires à la justice. Ceux qui ont pratiqué l’esclavage se considéraient collectivement comme de bons chrétiens. Ceux qui ont pratiqué la Shoah également. Ceux qui répriment les libertés dans des régimes liberticides également. L’apartheid, le tribalisme, l’homophobie sont autant d’atteintes au prochain qui sont majoritaires selon les temps et les lieux. Ceux qui érigent la corruption, faisant fi de l’impact sur l’éducation, la construction d’infrastructures, la santé de leurs concitoyens sont nombreux à se retrouver dans les églises le dimanche. Et la population peut avoir tendance à ériger tous ces gens en modèle. Que fera alors la jeune ou le jeune en position de choisir. Fera-t-il comme eux « puisque tout le monde fait pareil » ou prendra-t-il le risque de la justice ?

L'un des premiers juges de nos actes, c'est notre conscience. Dans les deux cas que nous avons vus, elle ne se réveille pas. Parce que personne ne nous voit, ou parce que tout le monde fait pareil. Nous pensons que notre conscience doit toujours nous aider en commençant par se demander « est ce que ce que je veux faire est juste ? » « Est-ce qu’en faisant ça, je suis digne du bon samaritain qui dans une route déserte a secouru un inconnu ? » « est ce que je suis comme ceux dont Jésus parlait en disant J’avais soif et vous m’avez donné à manger ? » «  Est-ce que je ne sais pas que cet argent est destiné à aider des paysans pauvres ? » « est ce que ce jeune militant qui a juste dit qu’il voulait défiler pour un motif politique mérite vraiment de passer deux ans en prison sans jugement aucun ? ». Notre conscience connait les réponses. Il faut juste que l’on pense à la réveiller, et à la mettre en alerte. Les arbres produisent des fruits quand on les voit et quand on ne les voit pas.

En cette journée pascale, je nous invite, chacune et chacun (et moi le premier) à mettre cet anneau au doigt. Appelons le l’anneau pascal, celui qui me rappellera toujours que quoique je fasse, où que je sois, il y a des juges qui me voient. Dieu et ma conscience. A aucun moment, je n’agirai donc mal, contrairement à mon prochain, parce que personne ne me voit, ou parce que tout le monde le fait. Au moins faut-il essayer.

 

Bonne fête de Pâques.

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L'anneau pascal
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