Cela fait maintenant un an que ce qu’il est convenu d’appeler « la crise anglophone » s’est déclenché au Cameroun. Elle a connu de multiples évolutions et beaucoup d’encre a coulé sur le sujet. Analyses, prises de position, propositions. Etc. Aujourd’hui, j’observe que le débat se tourne vers les formes de l’Etat (fédéralisme sous diverses formes, etc.) ou même le nombre d’Etats. Le présent article me permet de participer au débat, tout en fixant ma réflexion sur le sujet.

Je commencerai par faire un récapitulatif (que je commenterai) des étapes qui se sont successivement déroulées depuis un an. Je ferai ensuite une analyse sur les évolutions institutionnelles possibles (fédéralisme, sécession). Et je terminerai par une réflexion sur les évolutions possibles de la crise.

 

Que s’est-il passé depuis un an ?

Tout a commencé quand des enseignants et des avocats ont appelé à la grève. Leurs revendications, catégorielles, avaient trait à la manière dont ils exerçaient leur travail. Certaines de ces revendications étaient aussi liées à une différence de traitement entre le Français et l’Anglais. Ces revendications étaient-elles fondées ? A mon sens, c’est cette question qui n’est pas fondée. Mais j’y reviendrai.

A la suite de ces corps de métier, et face à la réponse plutôt brutale qu’ils ont reçue, les populations des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest (du moins certaines de leurs composantes) ont embrayé en dénonçant le traitement inique dont ils étaient victimes par l’Etat (services sociaux, infrastructures, redistribution, etc.). Et c’est dès ce moment que dans les régions francophones, une petite musique a commencé à s’élever : C’est peut-être vrai ce qu’ils disent, mais le problème n’est pas spécifique. Les autres régions souffrent tout autant, voire plus. Ils n’ont pas le droit de grever, bloquer les écoles, etc. pour ça. Ce qui revient à contester le fondement de ces revendications. Alors, ces revendications étaient-elles fondées ? Nous pensons que cette question n’a pas de sens. Il est TOUJOURS légitime pour un citoyen qui estime qu’il n’a pas assez, ou tout simplement qu’il veut plus, de se lever pour réclamer. Ce qu’il obtiendra dépendra de la pertinence (telle qu’elle est jugée par le reste de la société ou par l’Autorité) de ses exigences, et du rapport de force qu’il arrivera à établir. Je pense même qu’il s’agit là d’un devoir pour les citoyens engagés. Mon avis est qu’effectivement ces deux régions ne souffraient pas plus que les autres (peut-être même c’est l’inverse), mais c’est normal et appréciable qu’elles exigent un monde meilleur, et s’y tiennent. A condition bien sûr que l’on respecte le cadre légal (qui doit même doit respecter le cadre démocratique permettant aux citoyens de s’exprimer).

Il est évident qu’à ce stade, ces revendications ne pourront pas se calmer avec des réponses du genre « Mais regardez, vous avez ceci, vous avez cela, on vous a donné ça, et puis encore ça. Calmez-vous ». Mais le gouvernement n’a pas réagi que comme ça. Il a utilisé la traditionnelle technique du bâton. J’ai envie de dire traditionnelle et inefficace, dans ce cas au moins. Le bâton a bien sûr été la répression (habituelle, mais toujours déplorable) des différentes manifestations. Ainsi que l’arrestation des leaders de ces revendications, y compris avocats, et un juge à la cour suprême du Cameroun. La carotte a été ce que le régime pense savoir faire : Utiliser les élites pour maîtriser les populations. Garga raconte comment il a été missionné par le chef de l’Etat, et comment il est allé rencontrer les autorités traditionnelles et religieuses. Il a rendu son rapport. Effets toujours attendu. Une commission du bilinguisme a été créée. Avec à sa tête une élite anglophone. Effets toujours attendus. Cela n’a pas marché, car pour peu qu’elles le veuillent, ce sont les populations qui maitrisent les élites. C’est elles qui ont le pouvoir. Et non le contraire.

Perception is reality. La répression et la non résolution des problèmes à la base des revendications initiales ont plutôt contribué à radicaliser une bonne partie de ces populations. Cela s’est traduit par diverses exactions et actes criminels dans « l’expression populaire ». Sur le plan politique, cela s’est traduit par la montée en puissance des revendications autour du fédéralisme, et même de le sécession de la zone anglophone qui deviendrait un nouveau pays, l’Ambazonie. Côté francophone, si quasi unanimement tout le monde est hostile à une sécession, le débat sur la fédération est bien ouvert. Certains y sont favorables. Et parmi eux il y a plusieurs courants qui ne disent pas la même chose. D’autres y sont opposés, amalgamant (volontairement ?) sécessionnisme et fédéralisme. Ceux-ci arguent l’indivisibilité de l’Etat et les adversaires idéologiques sont quasiment des terroristes. Bref, le fossé semblait se creuser entre plusieurs positions. J’ai notamment assisté à cet échange où un francophone critiquait des fédéralistes anglophones en disant que des gens ne peuvent pas imposer à l’Etat ce qu’il doit faire. Ce à quoi un anglophone lui a répondu que l’Etat fait ce que les citoyens veulent et chez les francophones c’est le contraire.

L’Etat constatant cette aggravation de la crise, et face aux pressions internationales qui commençaient à se faire sentir, a décidé de relâcher la plupart des leaders qui avaient été arrêtés et qui attendaient devant le tribunal militaire (justice d’exception). Mais au lieu de calmer le feu, ça lui a plutôt donné du carburant. L’apogée de la crise a eu lieu le 1er Octobre. Les leaders séparatistes avaient annoncé que ce serait le jour de l’indépendance de l’Ambazonie. Les autorités se sont préparées. Ce qu’il y a de sûr c’est qu’il y a eu des morts. Des ONG parlent même d’une centaine. Je ne vais pas rentrer dans les batailles de chiffres, mais le caractère avéré des chiffres ne surprendrait pas, vu la manière dont les manifestations sont « encadrées ». Je ne vais pas jeter le blâme sur les forces de l’ordre sur le terrain, mais sur leurs commanditaires, par leurs ordres, par la politique de gestion (non formation des éléments à l’encadrement de manifestants, politique de sanctions, etc.) des manifestations, même en l’absence d’ordre. Suite à ces affrontements, les réactions ont de nouveau été variées. Ceux qui s’appuyaient sur cette répression pour se radicaliser encore plus et exiger la sécession, Ceux (francophones ou anglophones) qui optent pour la fédération (sans que ce terme ne recouvre la même réalité), ceux qui pensent que le problème n’est pas lié aux institutions mais à la gouvernance et ceux qui de nouveau amalgamant fédéralisme et sécessionnisme, considèrent les deux premiers camps comme des ennemis. C’est dans ce dernier camp que l’on a retrouvé des gens qui ont justifié les morts (notamment des enfants, parce que « que faisaient ces enfants dehors alors qu’il y a couvre-feu ? ») du 1er Octobre...

C’est à ce stade que nous en sommes. Nous pensons que c’est le moment de discuter des formes de l’Etat.

 

Commentaire sur les formes de l’Etat

Avant de dérouler les différentes positions et avis sur le sujet, précisions que la forme de l’Etat est un état de fait. Pour le Camerounais né en 1961, il savait à ses 9 ans, que le Cameroun était une fédération. Et il dormait bien Pour le Camerounais né en 1983, il savait à ses 9 ans que le Cameroun est un état unitaire avec 10 provinces. Aujourd’hui, on parlera de 10 régions. Pour le Soudanais né en 2017, il sait qu’il y a le Soudan du Sud, et le Soudan du Nord. Des gens peuvent penser que telle ou telle configuration est plus efficace par rapport à tel ou tel objectif. Il n’est pas rare que l’objectif en question soit lié à l’affectif. Ils se battent alors pour obtenir le changement vers la forme qu’ils souhaitent. Ils y arrivent ou pas. Mais s’ils y arrivent, on sera devant un nouvel état de fait (que certains pourront regretter), mais la vie continuera. Je pense quant à moi que ce n’est pas la forme de l’Etat qui conditionne l’efficacité économique. On s’entend à dire qu’une plus grande décentralisation (rapprocher les centres de décision des populations) est bénéfique vis-à-vis de cet objectif, mais cette décentralisation peut être atteinte quelles que soient la forme et la taille de l’Etat). Fédéraliser ou faire sécession en pensant que cela garantit une plus grande liberté est donc refuser de regarder le problème actuel en face : Celui de l’hypercentralisation du pouvoir Biya qui entraîne inertie et immobilisme et que j’attribue principalement à la soif de conservation du pouvoir. Nous avons des maires, des députés, des sénateurs dont les électeurs ne savent pas ce qu’ils font ou ne sont pas impliqués dans les décisions. Si le système perpétue le népotisme, la corruption, une certaine forme d’impunité, ce n’est pas la fédération ou la sécession qui le changera. C’est l’exigence que les administrés portent à leurs gouvernants. La décentralisation peut être faite même sans fédération. Nous savons ce qui bloque. Nous savons ce qui empêche depuis 21 ans, la dernière constitution d’être pleinement en application. Nous savons pourquoi alors que 70% des sénateurs sont élus (et sont ultra majoritairement du parti au pouvoir) le président du sénat est un sénateur nommé par le chef de l’Etat.

Ceci étant dit, je n’ai donc rien contre la fédération. Simplement, pour le Cameroun, je me demande pourquoi ce fédéralisme serait calqué sur l’héritage colonial (francophone et anglophone). Ce serait une forme, mais je trouve qu’en 2017, ce serait dommage. Un fédéralisme à 10 régions alors ? Pourquoi pas, mais se valent ils tous ? Examinons.

Sur le fédéralisme

  • Il y a le fédéralisme tribal à 10 états. 10 états ou plus. Je le qualifie de tribal car ses théoriciens considèrent la base tribale. Le plus célèbre est certainement D. ESSOMBA. Ces théoriciens partent du constat que la société Camerounaise ploie sous les tensions entre ethnies. Les populations, chacune avec ses raisons, considèrent que le « pouvoir » n’est pas à leur écoute parce qu’elles sont éloignées des centres de décision et qu’elles ne sont pas assez représentées dans les cercles du pouvoir.  Ils  considèrent que dans leur modèle, les populations échapperont à l’Etat unitaire centralisé, les décisions iront plus vite, et les « enfants du coin » occuperont les postes. Ma réflexion est que c’est là une mauvaise solution. Sans nier les différences culturelles, les sentiments d’appartenance, le vivreensemble doit transcender ces différences. Etat fédéré ou unitaire. D’autre part, les solutions proposées vont accentuer ces problématiques. Et qu’un Camerounais n’ait pas les mêmes droits d’un état à l’autre à cause de sa tribu n’a pas de sens. C’est une mauvaise solution qui refuse de voir les vrais raisons des causes dénoncées. Si nous sommes dans un état ultra centralisé, c’est parce que le chef de l’Etat actuel en a décidé. Pour la conservation de son pouvoir. Si nous sommes en présence de tensions tribales, c’est à cause de la gouvernance catastrophique actuelle où la performance n’est pas récompensée et la corruption et le népotisme la règle et donc  où tout le monde pense que la réussite passe par l’obtention de postes dans l’administration pour avoir une place à la mangeoire. Le problème qu’ils dénoncent est dû à la qualité de la gouvernance. Et sa résolution n’est pas liée à la forme de l’Etat. Ajoutons que si la nouvelle forme de l’Etat enlève un quelconque pouvoir aux tenants du système actuel, jamais elle ne verra le jour, tant que nous avons justement les gouvernants actuels.
  • Il y a le fédéralisme régional à 10 Etats : La différence avec le précédent est que la fédération n’a pas de base tribale. Il s’agit juste d’avoir des instances de décision plus près des populations et de rendre indépendant d’un pouvoir central ce qui peut l’être. Les régions actuelles peuvent en être une bonne base. Un Camerounais, quel qu’il soit aurait alors les mêmes droits qu’un autre dans une région donnée. Il serait astreint aux droits et devoirs de l’Etat central pour ce qui est de son ressort, et de l’état fédéré pour ce qui en dépend.  Pourquoi pas ? J’ai néanmoins quelques observations. La première est que ce modèle n’est pas réclamé massivement. Il l’est parfois par des gens qui estiment que leur région est lésée par le système unitaire. A savoir que leur région donne plus qu’elle n’en reçoit. Etre indépendant leur permettrait donc de conserver plus de richesses en local. Si les régions devaient fonctionner de manière autonome et sans solidarité, je serais alors contre. Dans un pays, on ne peut pas « abandonner » une région moins pourvue en ressources naturelles ou infrastructures au moment de la fédération. Et si on ne les abandonne pas, cela signifiera qu’on aurait une fédération où l’état central garde une main mise sur un certain nombre de domaines, et notamment l’impôt et la redistribution. A creuser donc. Sauf que cette idée n’a aucune chance d’entrer en application avec les gouvernants actuels (voir commentaires précédents). Ceux qui sont pour, savent donc où leur combat doit commencer…
  • Le fédéralisme à deux Etats basé sur le passé colonial. C’est l’objet de la revendication actuelle. J’ai indiqué trouver regrettable qu’elle soit basée sur les langues. A cela se rajoute le fait que dans les régions anglophones, on peut avoir l’impression de donner plus qu’on ne reçoit (voir point sur la solidarité). J’ai donc toutes les raisons d’être plutôt opposé. Néanmoins, on ne peut nier qu’un passé existe, avec du vécu, des ressentiments qui rendent particulier l’examen de cette situation. Pour résoudre les problématiques découlant des deux systèmes hérités (éducation, justice, etc), j’aurais plutôt tendance à militer pour la création d’un modèle ad hoc. Mais je comprends ceux qui militent pour ce modèle. Là encore, le combat doit être porté au niveau politique, car il est peu probable qu’un changement vers ce modèle survienne avec les gouvernants actuels…

Sur la sécession

Ce serait extrêmement dommage d’en arriver là. Je pense que ce serait se tromper de combat, ou plutôt, refuser de porter le combat au bon niveau. Le problème n’est pas la forme de l’Etat. Avec une gouvernance identique dans les états fédérés, ou même dans un nouvel état (prenons les états petits, comme la Gambie avec Yayah Jameh), la population se plaindra exactement des mêmes problèmes. Le problème est l’exercice actuel du pouvoir tel qu’il est fait au Cameroun.

Mais indépendamment du moyen par lequel ça peut arriver, ça peut arriver. Les pays vivent et évoluent. Le nombre d’Etats à l’ONU est différent de ce qu’il était il y a 30 ans qui lui-même est différent de ce qu’il était il y a 70 ans. Ce serait dommage…

 

La suite : que va-t-il se passer maintenant ?

Je ne vois que trois solutions

  • Statu quo : Dans ce cas, on est dans une situation où « la paix » est imposée par la force (et les forces de l’ordre) et nous restons dans une république unitaire. Mais les ressentiments n’ont pas cessé. Au Contraire. Les « jugements » des ultras francophones n’ont pas cessé. Au contraire. On enverra des « émissaires » pour « dialoguer » avec le peuple. Mais avec la même approche (les élites, la tribu) qui ne fonctionnera pas (exemples avec les élites envoyées pour dialoguer). Mais avec la même boulimie de pouvoir. Mais le statu quo ne peut pas être pérenne. D’abord parce que le détenteur du pouvoir n’est pas éternel. Et on se rapproche de la fin. Ensuite parce que l’examen des revendications sécessionnistes ou de la montée en puissance de la crise depuis un an indiquent que même si il n’y a pas de troubles, il n’y aura pas d’apaisement. Et s’il n’y a pas d’apaisement, avec ou pas un nouveau chef d’Etat, on aura une escalade. Il n’y a donc que deux vraies options possibles.
  • L’Apaisement. Il peut passer par une fédération (qui ne viendra jamais avec l’actuel pouvoir) ou même un statu quo institutionnel (Evidemment pas avec l’actuel pouvoir). Je postule donc que l’apaisement ne sera possible que s’il y a un changement de régime et que le nouveau de régime porte tout de suite des gestes d’apaisement. Par exemple que le nouveau président (ou la nouvelle présidente) fasse le premier pas et aille au contact des populations et rende crédible (y compris par des réalisations concrètes) un message où les populations auront l’impression que leur situation a progressé. Sinon, même sans guerre, il n’y aura pas d’apaisement, et ce n’est pas souhaitable…
  • La Continuation d’escalade : Sans apaisement, l’autre option est l’escalade. Des violences sont éventuellement commises. Des manifestations sont déclenchées et l’Etat réagira comme il sait le faire, c'està-dire pas dans la douceur et la retenue. Que se passera-t-il alors ? Des pressions (populaires, et surtout extérieures) se feront plus pressantes et d’une manière ou d’une autre, le gouvernement cèdera. Mais il cèdera vers quoi ? Le sécessionnisme. Parce que la population sera encore plus radicalisée, parce que les leaders les plus extrémistes seront les plus audibles et légitimes aux yeux de la population, et parce qu’ils n’auront aucune raison de s’arrêter alors au fédéralisme.  Le gouvernement anticipe déjà cela en allumant les contrefeux selon lesquels ce sont les occidentaux qui sont derrière « tout ça ». Il n’y a qu’une manière d’empêcher ça : Changer de régime

 

Je pense qu’il est même encore dommage de raisonner en termes de francophones et d’anglophones. Si les langues (auxquelles on peut ajouter le Chinois) sont un atout, des zones francophones, des systèmes judiciaires anglophones n’ont pas grand sens. On gagnerait à harmoniser à une sauce Camerounaise. Si collectivement nous choisissons un modèle fédéral (élections, promesses électorales, victoire d’un candidat qui aurait porté ce modèle) ou si nous restons dans l’Etat unitaire, il est possible d’avoir un meilleur vivre ensemble. Mais cela ne sera pas possible avec l’actuel régime. A ceux qui se diraient que je fais une fixation, je terminerais en disant que Biya n’est peut-être pas la cause de tous les problèmes, mais aucune solution ne peut être trouvée avec Biya…

 

PS : je me suis dépêché de terminer cet article car…

Fédéralisme, Sécession: Commentaires sur la crise Camerounaise...
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