Salut petite nana,

Tu es donc née. J’avoue qu’avant ta naissance, je ne ressentais pas d’émotion particulière. Je savais que tu allais arriver. Je te voyais bouger, mais je ne te représentais pas vraiment. Ça avait déjà été le cas avec ton grand frère, mais à son époque, je m’étais plus projeté sur après. Aussi, ai-je eu la crainte que pour le second enfant, on perde, je perde, ma capacité d’émerveillement : Oh ! Elle a souri ! Elle a dit « maman » ! Elle maaaarche !

Je sais à quel point c’est important pour un enfant, et nous serons vigilants. De toute façon, à propos d’émerveillement, il parait que je vais découvrir quelque chose de nouveau.  Et j’en suis très curieux : Il y aurait une relation très particulière entre les filles et leur père. J’ai hâte de voir si c’est bien le cas. Je pourrai aussi dire (sous forme de boutade bien sûr) à ta mère et ton grand frère quand ils entrent dans leur bulle au moment de « lire l’histoire » que s’ils sont ensemble, moi aussi j’ai ma fille. Je plaisante, car je suis certain que tu construiras ta bulle « histoires » avec ta mère. Mais à propos de ton frère, cela me fait naturellement me poser la question de l’éducation à donner.

 

Les garçons et les filles doivent ils recevoir la même éducation ? Moi, je suis un égalitariste, donc j’aurais tendance à répondre OUI. Mais il ne faut jamais répondre à une question sans y avoir réfléchi. Réfléchissons donc à haute voix. Tu le sauras, mais j’ai grandi au Cameroun. Et là-bas, les filles ne reçoivent pas tout à fait la même éducation que les garçons. Il y a bien sûr un socle commun (instruction à l’école, aux valeurs, etc.), mais il y a aussi des différences. Elles interviennent à deux niveaux principalement.

Le premier niveau est que les parents estiment que l’éducation doit préparer les enfants à affronter les exigences de la vie de la meilleure des manières. Et ils vivent dans une société (qu’ils ne remettent pas forcément en cause) où les exigences que la femme a sont différentes de celles des garçons (rôle dans le ménage par exemple). Il vient donc que l’éducation va être axée pour les filles, en plus du « tronc commun », sur sa capacité à tenir son foyer. Avec toutes les contraintes que cela peut entraîner. Moi je dis juste que quand on refuse on dit non. Si la société camerounaise a construit ce modèle, c’est qu’il y avait des raisons. Ces raisons se retrouvent. Et je ne les partage pas. Je te dis donc que si jamais tu dois maîtriser l’entretien d’un foyer, il n’y a aucune raison que ton frère n’en fasse pas autant. Peu importe où vous vivrez.

Le second niveau de différence dans l’éducation vient du fait que consciemment ou pas, on positionne la femme comme une proie pour l’homme. Et ce, à tous les niveaux. Les hommes seraient des bêtes assoiffées, et donc sont prêts à tout pour arriver à avoir les filles (je ne suis évidemment pas d’accord, de considérer l’homme comme un animal seulement mû par ses instincts, mais ça je l’expliquerai à ton frère). On leur apprend donc à se méfier des garçons et à guetter les signes du « vrai » amour. On considère aussi que si elles venaient à céder, les conséquences pour elles peuvent être plus néfastes. Un garçon peut continuer son parcours scolaire, universitaire avec un enfant non désiré (même s’il choisit de s’en occuper). Une fille, pas trop. Enfin, on considère qu’elles risquent plus (physiquement, agressions, etc) à s’aventurer dehors tard. La réponse des parents  pour ces deux derniers points sera donc une moindre permissivité sur certaines choses (sorties, fréquentation, etc.) que celle accordée aux garçons. Quant à moi, je pense que c’est une réponse facile et pas toujours efficace. Je pense que la clé est que l’enfant, fille ou garçon, comprenne bien les risques qu’il encourt et les conséquences que ses gestes peuvent avoir pour soi, et pour les autres. Un garçon court il moins de risques à minuit dehors qu’une fille ? Peut-être. Mais cinq filles courent elles plus de risques qu’un frêle garçon à la même heure ? Pas sûr. Tout sera donc dans l’évaluation de risques. Et cela s'apprend...

Là encore donc, je ne vois pas de différence à faire a priori sous prétexte que tu es une fille. Et là, c’est en me basant sur la « sociologie » en vigueur au Cameroun. Il y a d’autres pays qui semblent plus avancés sur le plan de l’égalité Hommes femmes. Peut-être y vivras-tu ?

 

Mais même si tu y vis, il me semble quand même que nous sommes dans un monde plus hostile aux femmes. J’ai souvent eu l’impression que des femmes pourquoi des filles  donnaient l'impression de vouloir  prouver des choses  parce qu'elles étaient des femmes. Je n’étais pas certain de comprendre quoi ni pourquoi. Encore une fois, je me base sur les parcours du Cameroun, mais pas que. J’ai souvent l’impression que la perception même de ces femmes est que réussir certaines études (ou même ses études tout court) est un challenge. Réussir sa vie professionnelle est un challenge (complexifié du fait de leur féminité). Réussir à combiner une vie professionnelle avec une vie de mère, épouse, etc. est un challenge. Et ce, même en l’absence de « discrimination ». J’ai souvent constaté cela, sans forcément pouvoir me l’expliquer. Mais « perception is reality » comme on dit. Ne sachant pas pourquoi cette perception advient, je ne sais donc pas si à ton tour tu l’auras. Si tu es dans cette situation,  je te souhaite du courage  et j'espère te donner les armes appropriées, notamment en termes de confiance en soi.

 

Bon, je vais t’avouer que je pense à cet article depuis des mois. La trame a donc évolué. Et je viens juste de réaliser que le paragraphe précédent raconte un peu n’importe quoi. Je fais comme si je ne comprends pas pourquoi certaines voient des montagnes à gravir, comme si c’était trop facile parce que nous ne vivons pas dans tel ou tel pays se terminant par « Stan » par exemple. Mais même en France

  • Une femme meurt tous les deux jours sous les coups de son conjoint
  • La part des femmes dans les instances significatives (COMEX, position éligibles sur les listes, et donc dans les parlements, sur les plateaux Tv quand on invoque les experts, etc.) des grands groupes est significativement faible, malgré des lois
  • Certaines études semblent réservées aux femmes, alors que dans d’autres études (science par exemple) elles sont sousreprésentées
  • Les femmes touchent en moyenne un salaire inférieur aux hommes. Ce qui peut arriver par discrimination (même poste, salaire différent), mais aussi et surtout parce que les hommes et les femmes n’occupent pas les mêmes types de poste. Ce qui est peutêtre plus grave encore, parce que chaque patron peut légitimement dire qu’il ne fait pas de discrimination, mais si on part du principe que les femmes ne sont pas moins bonnes que les hommes (et c’est le cas), alors cela signifie que c’est la société toute entière qui discrimine les femmes en les cantonnant à des jobs à moindre valeur ajoutée
  • Dans les foyers, quand Monsieur et Madame travaille, c’est souvent madame qui s’occupe des enfants, prépare à manger, fait le ménage, etc. Même quand l’époux n’est pas un sale macho. Moi par exemple, j’ai tendance à penser que je prends ma part dans les tâches ménagères. Mais je suis certain que ta mère dira que ma part n’est pas très très équitable. Je suis d’accord ? Hum ! « Perception is reality ».

Je pourrais continuer, mais je pense que c’est clair. Il y a du boulot pour l’égalité. Ces changements ne viendront pas tous de quelqu’un d’autre que des femmes elles-mêmes. Il faut que tu y prennes ta part. Il faut que je t’y aide. En t’aidant à cultiver l’estime de toi, la confiance en toi, l’ouverture aux autres, la persévérance, la capacité à rêver et à imaginer que tu n’as pas de limites.

Je vais terminer cette petite lettre, en remerciant les dames que j’ai côtoyées et qui m’ont permis de réfléchir à cette mission exaltante: Elever une petite fille. Tu portes de beaux prénoms : hommage à tes héritages culturels divers, hommage à tes mamies (deux femmes qui chacune à leur manière ont embrassé le combat des femmes). J’ai commencé en disant que j’avais peur d’être blasé, mais maintenant que tu es née, quand je te regarde, je sais que je t’aime déjà

Lettre à ma petite fille...
Retour à l'accueil