Cet article continue mon analyse du livre de Jean-Marie Atangana Mebara (JMAM). Il y a eu un article introductif qui plantait le décor. Le présent article se propose d'analyser le fonctionnement de l’État, à partir de la description que JMAM en fait...

Une république monocéphale

A sa prise de fonction, le président fait venir JMAM à Genève pour ce que ce dernier qualifie de séance d’ « initiation à la fonction de Secrétaire général de la Présidence » et lui dit qu’il l’avait choisi entre autres parce qu’il avait bien compris « la nature présidentielle du régime ». Le texte est parsemé de bons nombre d’autres occurrences où cette caractéristique est rappelée. Le régime est donc un « régime présidentiel fort » et cela se voit.

Pour qu’une loi émanant de l’exécutif (projet de loi) soit présentée à l’assemblée, il faut que le président l’ait lue et validée (les services de la présidence étant là pour l’aider à accomplir cette tâche). JMAM ne mentionne pas le pourcentage de loi à l’initiative de députés (proposition de lois), mais il n’est certainement pas élevé. A titre d’exemple, pour la session ordinaire de Mars, 7 lois ont été votées (toutes émanant de la présidence) et 4 propositions de lois émanant de l’opposition n’ont même pas été reçues pour examen. Soit 100 % des lois votées (et présentées) lors de cette session émanant de la présidence.

Ici on a confirmation que dans toute la législature, seule une proposition de loi de l’opposition a été jugée recevable. Comme on pouvait s'y attendre, elle a ensuite été rejetée.

Sachant en outre que la majorité vote systématiquement les projets de lois émanant de l’exécutif, que la majorité c’est Paul Biya (président National du RDPC), on peut dire que au Cameroun aujourd’hui, la loi c’est le Chef de l’Etat, et donc Paul Biya, et lui seul.

C’est la présidence de la république qui valide les missions des ministres à l’Etranger. C’est le Président qui nomme les ministres, les directeurs dans les administrations centrales, dans l’armée, dans les sociétés parapubliques. C’est aussi lui qui autorise que des poursuites judiciaires soient lancées contre tel ou tel.

Le Cameroun n’a donc qu’une seule tête : le Chef de l’Etat, constitutionnellement et d’après JMAM, dans les faits. Personne ne manipule le chef de l’Etat c’est lui qui décide de tout. Nous reviendrons sur les conséquences dans l’efficacité de l’action publique, de ce mono-céphalisme. Le chef de l’Etat, seule tête, soit, mais comment travaille t’il ?

Modes de fonctionnement du Président actuel

Homme de dossier

Le Président est avant tout un homme de dossier. C’est ce que nous dit JMAM. Il justifie par exemple le reproche de distance par rapport à ses concitoyens (ou même ses ministres) par le fait que « il pense probablement que les ministres révèlent mieux leurs capacités d’analyses et d’initiatives à travers les notes qu’ils lui adressent, plutôt que lors des audiences ; de plus, lui le Président réagit, sans doute plus efficacement à la lecture d’une note qu’à l’occasion d’une audience, de durée naturellement limitée. ». Paul Biya, pour émettre son avis sur les futures lois par exemple, le fait en lisant les notes qui lui parviennent. C’est pour cela qu’il n’éprouve pas le besoin d’échanger avec ses ministres (bien que certains soient reçus, d’autres ne l’ont jamais été). C’est pour cette raison qu’il n’estime pas nécessaire de faire des conseils de ministres (a priori ce n’est pas une obligation légale, et l’expérience a montré que quand il en fait, cela se résume souvent à la lecture d’un discours d’intention). Bref, c’est un homme de dossiers.

Comment s’informe-t-il ?

Nous avons vu comment ses avis se font sur les dossiers. Mais comment se tient-il informé, notamment sur les personnes, vu que l’ouvrage de JMAM est prolixe sur le sujet. Principalement en demandant leur avis à ses proches, ceux qui ont un aspect direct à lui. On apprend ainsi que JMAM lui-même avait fait l’objet d’une discussion entre le Président et un prélat de Yaoundé en 1999 au sujet du poste de SGPR, soit 3 ans avant sa nomination. Quand il s’agit d’une nomination à faire, il s’appuie aussi sur ses services de renseignements pour lui dire si le futur « élu » ne traîne pas de casseroles. Ce qui revient à l’étude d’un dossier (voir & précédent). Ici on peut dire que c’est un homme de dossiers qui se base sur ses proches pour se tenir informé.

Comment nomme-t-il ? Comment évalue t’il ?

Une fois qu’il est informé, notamment sur les personnes, quel est le processus de nomination des personnalités chargées d’appliquer sa politique, car rappelons-le, constitutionnellement (et dans les faits, comme on l’a vu), le Chef de l’État est responsable de tout. Les personnes qu’il nomme sont donc ses relais pour l’exécution de sa politique. Retenons qu’il y a deux types de nominations. Celles de ses collaborateurs directs (DCC, SGPR, et leurs adjoints, PM, ministres etc.) ou des postes de très haut niveau ou jugés stratégiques (au Mindef, DGSN, DG SNH, chargés de missions à la présidence, etc. …) et celles des relais de ceux-ci (directeur d’administration, DG d’entreprises non stratégiques, etc.). Pour ce qui est de ses collaborateurs directs, il les nomme sur une base de confiance. Il faut donc qu'il les connaisse. JMAM indique que l’une des premières choses que le président lui ait apprise est « qu’il tenait un carnet secret dans lequel il relevait les noms des hauts fonctionnaires qui lui étaient signalés de manière particulièrement positive ; et il m’a recommandé d’en faire autant ». Il va de soi que tous les SGPR nommés par lui ont précédemment travaillé avec M. Biya d’une manière ou d’une autre. Il ainsi pu les jauger, leurs qualités ET leur loyauté. Parmi les 5 premiers ministres depuis la réinstauration du poste, 3 sortaient directement du secrétariat à la présidence (1 ancien SG, deux anciens adjoints) et deux avaient travaillé directement avec lui. Pour les relais, il se base sur les propositions faites par ses collaborateurs et les différents réseaux qui lui sont proches. On peut estimer que bon nombre de ces personnes nommées lui sont totalement inconnues, et ne doivent leur nomination qu’à ce qu’on a pu lui en dire, y compris des ministres (et le reste y compris durant leur ministère) !

Pour ce qui est de l’évaluation de ses collaborateurs, le lecteur retiendra surtout que

  • Paul Biya dispose d’un carnet secret où il note les fonctionnaires dont on lui dit du bien. Sans doute pour croiser les infos provenant d’autres sources

  • Pour les collaborateurs plus ou moins direct, cela est fait par l’appréciation des notes rédigées par eux qui dévoileraient « leurs capacités d’analyses et d’initiatives » (261). Cela signifie que pour plaire au Chef de l’Etat, plutôt que les réalisations sur le terrain, il faut exceller dans la qualité des notes…

  • Il les évalue aussi sur leur compréhension des institutions (le régime présidentiel, le rôle du PM, etc.), ainsi les seuls exemples cités de ministres renvoyés ne l’ont pas été par incompétence ou non atteinte de résultats, mais parce qu’ils n’ont pas obéi aux instructions découlant de la procédure. Le dernier remaniement d’Octobre 2015 pourra le confirmer avec le départ de ministres qui s’étaient opposés à leur PM.

République des fonctionnaires, parti État, équilibre régional

Nous l’avons vu, sauf dans de très rares cas (entrepreneurs, société civile), les personnes choisies pour accompagner le chef de l’Etat sont des hauts-fonctionnaires. Et plus leur responsabilité est grande, plus il s’agit de fonctionnaires que le chef de l’Etat a personnellement côtoyés. Sans dire que les fonctionnaires sont incapables d’avoir un pilotage efficace d’un pays, je pense que l’on peut néanmoins signaler qu’une élite provenant du même moule peinera à se renouveler, tant sur le plan des idées que des méthodes, qu’à fortiori quand ce moule est l’administration, aura tendance à un fonctionnement où l’attente des consignes de la hiérarchie (et même de la « très haute hiérarchie » comme on dit) aura tendance à conduire à l’immobilisme. Mais nous y reviendrons.

République des fonctionnaires donc, mais aussi parti-Etat. En effet le RDPC est omniprésent dans l’appareil étatique. Nous avions déjà constaté que chaque dignitaire nommé prenait automatiquement sa carte, même si précédemment il n’avait pas eu d’activité politique (d’ailleurs JMAM dit lui-même qu’il n’avait pas d’activité politique particulière). Nous savions déjà que dans les campagnes électorales, les administrations se vidaient parce que chaque haut fonctionnaire était allé faire campagne dans « son village ». A bon droit puisque après les élections de 2004 (pourquoi penser qu’il en est allé autrement ensuite) le chef de l’Etat pour former son gouvernement, il « avait aussi demandé que je vienne à cette séance de travail avec les noms des personnalités qui avaient participé à sa campagne électorale, avec les résultats dans les différentes circonscriptions ». Les « meilleurs » sont donc récompensés. On apprend aussi que les gouverneurs et autre préfets agissent comme relais électoraux « Les autorités administratives adressent aussi leurs notes confidentielles sur les élites ayant le soutien des leurs ou ayant significativement contribué à la campagne électorale. Les services de renseignements y vont aussi de leurs bulletins spéciaux ». On peut se demander ce qui adviendrait si un autre candidat avait gagné ces élections et si c'est vraiment normal que l'administration et les services de renseignements soient au service d'un camp politique. Passons...

Nous avons aussi la confirmation que le choix se fait sur une base régionale : Quelles régions ont le mieux voté, et sur cette base on y choisit les ministres (nous les récompensons, parce que ce n'est pas ce que le ministre fera qui sera bien pour sa région ou pour les autres régions, c'est le simple fait d'être nommé qui est censé être bien...). On en a une autre, hors période électorale cette fois quand en 2003 « Etant donné que le réaménagement devait préserver les équilibres sociopolitiques du gouvernement, mon rôle a seulement consisté à rappeler au Chef de l’État des noms de personnalités des départements d’origine des ministres sortant ». Chacun se fera son avis.

Retrouvez l'article suivant qui analyse l'efficacité d'un tel système

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