Le parlement camerounais vient d’autoriser le Président de la république à ratifier les APE. Tout de suite, on a assisté à une levée de boucliers, à combattue par la voix à peine audible du ministre de l’économie.


Evacuons rapidement le fantasme des camerouno-centristes pour analyser en profondeur ces APE. Ces Camerouno-centristes voient ces accords comme une stratégie pour piller le Cameroun (et uniquement le Cameroun). Pourquoi les appeler ainsi ? Parce que pour eux, l’occident, depuis quelques temps veut attaquer spécifiquement le Cameroun. C’est l’occident qui aurait déstabilisé la RCA pour attaquer le Cameroun par l’Est (oubliant que non seulement le Cameroun prend une part active à la force africaine présente en RCA, mais que les douleurs vécues par les centrafricains sont suffisamment graves en elles-mêmes pour ne même pas y mêler le Cameroun), c’est encore l’occident qui serait derrière Boko Haram, pour déstabiliser le Cameroun par le Nord ( ramenant sans s’en rendre compte les membres de Boko Haram à de simples pantins, oubliant que le Nigéria est autrement plus attractif que le Cameroun pour ces puissances, et oubliant enfin que le Président de la république Camerounaise a lui-même dit qu’il avait négligé le problème lors de sa participation au sommet tenu en France sur le sujet. France qui est le pays accusé par nos amis). Nos amis camerouno-centrés pensent que le Cameroun a signé sous la pression pour ne pas devenir une nouvelle Syrie ou Ukraine.


1.      Pourquoi le Cameroun signe t’il ces APE aujourd’hui ?

Le Cameroun va ratifier effectivement sous une pression. Après avoir signé les pré-accords dès 2007, le gouvernement aura mis 7 ans pour ratifier ces accords. Les Camerounais sont habitués à une léthargie certaine dans les actes et décisions de son gouvernement, mais nul ne peut douter que ce délai est dû à une volonté de faire trainer en espérant obtenir mieux des négociations (actuellement on parlait de discussions autour de 75% d’ouverture des marché dans 20 ans contre 80% d’ouverture dans 15 ans).  Le 1er Octobre prochain, si nous n’avons pas signé, les taux de douane préférentiels que nous avons actuellement sur les marchés européens seront supprimés. Ils entraineront donc une augmentation de leur prix sur ces marchés (pendant qu’éventuellement d’autres pays signataires verraient le prix des mêmes produits rester bas) et donc une baisse du volume et donc une baisse nette des recettes des pays à la structure économique similaire au Cameroun : exportateurs de matières premières quasiment non transformées.

http://cameroon-info.net/stories/0,62077,@,cameroun-pourquoi-le-cameroun-doit-ratifier-les-ape-interimaires.html

Cet état de fait tient à deux choses. La première tient au fait que les dirigeants des pays comme le Cameroun n’ont pas entrepris de diversifier efficacement leurs exportations (en nombre de partenaires, en typologie de produits exportés, en déficit de transformation desdits produits). La seconde tient au fait que les « pays du Sud » ont insuffisamment collaboré pour peser dans les différentes négociations (concurrences entre différentes zones, et même dans la même zone), et pour développer un marché commun et intelligent permettant de réduire la dépendance de ces pays à l’exportation vers les pays de l’UE. La CEMAC illustre à loisir ces deux points.

Ces deux points sont le résultat de l’histoire, mais aujourd’hui, en Août 2014, les Etats sont quasiment obligés de ratifier ces accords. D’autant plus qu’il suffit qu’un concurrent sur ces matières premières, signe pour que l’on soit même fortement pénalisé.

Une fois ces accords ratifiés,  la question est de savoir si en rythme de croisière (dans 15 ans, avec 80% d’exonération de douanes), s’ils sont un mal ou un bienfait.


2.      Les inconvénients

Ils sont assez bien documentés et sont de deux types. Selon les détracteurs de ces accords, la disparition des barrières douanières va contribuer à rendre encore plus compétitifs les produits européens. Du coup, ceux-ci vont inonder les marchés camerounais et seront privilégiés par les consommateurs, car les producteurs locaux n’auront pas les moyens d’être aussi compétitifs. Résultat, le tissus industriel déjà fragile, voire inexistant, disparaîtra complètement. Dans un second temps, les recettes douanières en baisse du fait de cette levée des barrières vont contribuer à encore plus grever le budget de l’Etat déjà déficitaire.

Voilà pour les inconvénients à terme. Mais l’on se doute bien que si le gouvernement signe, c’est qu’il a au moins des arguments théoriques à présenter.  Analysons donc les raisons qui pourraient pousser un Etat, indépendamment de la sanction d’Octobre, à signer ces accords.


3.      Les possibilités

L’Etat Camerounais (mais sans doute les autres aussi) dit qu’il prévoit de développer abondamment l’industrie locale, de manière à être compétitive face aux futurs produits européens. Pour cela, un certain nombre de travaux doivent être entrepris (accès au financement, amélioration des transports, favorisation des grosses exploitations, etc.). Le lecteur retrouvera la position du gouvernement dans le dernier paragraphe de l’article suivant

http://cameroon-info.net/stories/0,62073,@,cameroun-ape-ces-accords-suicidaires-que-le-parlement-autorise.html

Imaginons qu’il fasse ne serait ce que la moitié de ce qu’il annonce. Schématisons en disant que dans la structure de coût d’un produit, on retrouve : la matière première, le coût de la main d’œuvre, le coût des machines, le conditionnement, le coût des transports et la redevance à l’Etat (charges, TVA, douanes, etc.). Prolongeons en disant que pour que le produit soit de qualité, il faille aussi du savoir-faire. Pour les produits qui ne sont pas directement soumis à concurrence, ie les produits issus de la culture locale pour lesquels il n’existe pas d’équivalent en Occident (manioc, plantain huile de palme par exemple), les entrepreneurs locaux, dès lors qu’ils auront eu les outils pour transformer efficacement croîtront nécessairement, tout en produisant des produits moins chers qu’actuellement (souvenons nous que la crainte des produits européens est que ceux-ci soient moins chers, du fait de l’industrialisation massive, que les produits locaux purement artisanaux). Le développement de ces structures augmentera aussi les ressources de l’Etat (charges, TVA, impôts). De plus, ces nouveaux produits transformés et bien conditionnés pourront aussi trouver un marché en Occident, pour la nombreuse diaspora ou même pour les occidentaux. Aujourd’hui dans les supermarchés occidentaux, on retrouve des nems, des sushi, du guacamole, des tacos, mais aucun produit culinaire d’origine africaine (si ce ne sont les produits non transformés. Ex : banane, plantains, avocats, etc.). Avec le développement de l’industrie locale, et des droits de douane en Occident à la baisse, nous aurons alors des produits de qualité et à moindre coût. Ouvrant ainsi de fabuleuses perspectives.

Pour les futurs produits soumis à concurrence directe des produits européens (petit électroménager, certains produits agricoles comme la tomate exemple sur lequel nous reviendrons, etc.), reportons nous à la structure de coût citée plus haut. La main d’œuvre locale sera moins chère, les matières premières seront moins chères localement, les machines seront un peu plus chères, mais pas de beaucoup vu que les droits de douanes auront été baissés, le transport sera moins cher. Ce qui fera la différence sera la qualité produite (formation, respect des normes), le conditionnement et les économies d’échelle. Autant de secteurs où l’Etat devra jouer son rôle pour que l’industrie locale soit prête. Si l’Etat a une stratégie qui pousse les investisseurs à investir dans l’agriculture, les producteurs à produire tel ou tel produit, un réseau de transport intelligent, organisé la filière d’approvisionnement en conditionnement, insisté sur le respect des normes et la formation des acteurs, alors il n’y a aucune raison d’avoir peur dans le futur. Les produits importés compétitifs seront ceux pour lesquels le Cameroun (les autres pays ACP) ne se positionne pas.

Illustrons avec l’exemple de la tomate. Je prends cet exemple car j’ai écouté une émission de radio récemment qui parlait d’un immigré qui a fui son Libéria natal où il cultivait des tomates et se retrouve aujourd’hui exploité (car sans papier) dans une exploitation agricole italienne de tomates. Tomates qui seront mise en conserve (concentré de tomates) et iront inonder les marchés africains. Aujourd’hui, sans APE, le détail du processus, et les causes des fermetures des usines africaines sont résumées dans le lien de l’excellent blog ci-dessous

http://agriculture.afrikblog.com/archives/2014/05/14/29871936.html

En résumé, pour les entrepreneurs : difficultés d’approvisionnement en matière première appropriée, transport, conditionnement, surdimensionnement des capacités de production, manque de vision stratégique étatique, etc. Autant d’éléments sur lesquels nos gouvernants peuvent désormais agir.


4.      Si les actions nécessaires ne sont pas prises

Nous peignons là une situation très favorable, mais le lecteur attentif me rétorquera « Tout ceci est bien beau, mais ne marche que si le gouvernement agit come il faut, or nous connaissons les lacunes de nos dirigeants, ça ne marchera donc pas ». Je lui répondrais alors que si le gouvernement n’agit pas comme il se doit, APE ou pas, nous sommes très mal barrés. L’exemple de la tomate sus-cité était sans APE, le rachat massif de terres arables par les Chinois se passe aujourd’hui, l’invasion locale de produits chinois (et pour le coup, en terme de main d’œuvre, ils ne sont pas plus chers), les freins mis aux entrepreneurs locaux (no tchoko, no business) sont autant d’éléments, parmi beaucoup d’autres qui, APE ou pas, entraineront le crépuscule que certains craignent. Les dirigeants étant l’émanation du peuple, nous savons ce qu’il nous reste à faire.

 

Je conclurai en citant ce député «Ce que nous gagnons ou que nous perdons dans les Ape dépend de la manière dont nous allons structurer notre économie.»

http://cameroon-info.net/stories/0,62074,@,cameroun-note-salee-ce-que-coutent-les-ape-au-cameroun.html

 

PS : Aujourd’hui, les chefs d’Etat africains sont aux USA. Parmi eux nous avons des chefs d’Etat qui ont déjà demandé aux USA de prolonger l’AGOA. http://www.boursorama.com/actualites/les-dirigeants-africains-demandent-aux-usa-de-renouveler-l-agoa-10ebd990c44370ab45c365d98ad9728c

Gageons que  quand les USA s’en serviront pour faire pression et obtenir des contreparties, nos pays, s’ils n’ont rien fait d’ici là seront encore les premiers à crier à la manipulation.

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