Voyage au cœur du pays organisateur.

 

Ce qui suit se suit se déroule en Mai 2016, à Djoum, commune rurale regroupant une trentaine de villages, dans la forêt profonde du Sud du Cameroun.

 

Le protagoniste ne vit pas sur place. Mais il vient souvent. Comme son boulou n'est pas aussi « pur » que celui que l'on parle ici, on l'appelle parfois « Belobelobo ». Appelons le «Belobelobo» dans la suite. Ceci sont quelques unes des observations faites à ce moment là, et pas forcément à de précédents moments. Ces observations concernent principalement les gens rencontrés et leur vie de tous les jours.

 

  1. Auto-médication bio

Belobelobo aime l'agriculture. Il ne manque pas une occasion quand il est là de rentrer en brousse avec ses amis planteurs. Ce jour là, après avoir visité quelques champs, ils s'en retournent à la route principale par un sentier dans la forêt. Soudain Junior, l'un des planteurs, bifurque à gauche, fait 20 mètres, se baisse et se relève avec un gros « fruit » orange : Ebom. Il dit que ça sert à guérir le palu. Il y a un débat qui consiste à savoir si c'est le même fruit que l'on appelle « Kinkeliba » dans le littoral. Dans son souvenir, Belobelobo voit des petits fruits noirs, comme correspondance à Kinkeliba. Qu'à cela ne tienne. Le dialogue suivant s'ensuivit

  • Tu es sûr que ça soigne le palu ?

  • Oui, c'est bien amer. Je prends un comme, ça, je fais des infusions, et ça me tient 6 mois. D'ailleurs, il n'y a pas que l'Ebom. Il y a ce qu'on appelle la « canne du palu », c'est la tige d'un arbuste qui pousse en brousse. Je te montrerai ça tout à l'heure. (Ça se suce comme la canne à sucre. Mais ça n'a pas de goût. Ou plutôt un, légèrement acidulé),

  • Et donc tu ne vas jamais à l’hôpital pour le palu ?

  • Parfois, quand le traitement à l'Ebom n'a pas d'effet.

 

Ainsi ils croient aux vertus de l'Ebom. Mais on peut se demander s'il en a vraiment, étant donné la remarque sur le recours à l'hôpital en dernier ressort. On peut aussi se demander pourquoi personne ne pense à expérimenter pour statuer, au lieu de laisser spéculer ou croire. Que coûterait un hectare de cet arbre, une expérimentation avec des malades volontaires suivis, avec des bien portants pour voir s'ils sont plus ou moins atteints que les « non traités », bref déterminer si il y a des résultats réels, et ensuite déterminer les posologies. Si ça marche, accompagner les villageois dans leur traitement potentiellement gratuit. Peut-être qu'un jour...

 

 

Au Cameroun de Paul Biya...

 

  1. chirurgiens miracle

Le lendemain, la même troupe est attablée au bar à Djoum. Il est quelle heure ? Il n'y a pas d'heure pour ces choses là. Ils devisent tranquillement, quand ils abordent le sujet d'un cousin dont Belobelobo demande des nouvelles. Il apprend qu'il a eu une fracture assez grave pour laquelle il a subi une opération sur place, à Djoum.

  • A Djoum ? Il y a un chirurgien ici ?

  • C'est le médecin qui l'a opéré. Et ce n'est pas la seule opération qu'il fait.

  • Mais, il a les équipements adéquats ?

  • Si ce n'est pas lui qui fait ça avec les moyens du bord, qui va faire ça ?

Belobelobo pense en effet aux 105 km non bitumés séparant Djoum de Sangmelima, qui en saison de pluies peuvent facilement se transformer en 7h de route. En effet, en cas d'urgence, quel autre choix que se faire opérer sur place, sans radio, sans IRM, etc. Ici, le médecin détermine le mal en palpant. Pas d'autre choix. Ça forme. Belobelobo pense à ce reportage vu à la télé où une jeune médecin Européenne était allé en voyage « humanitaire » au Congo et qui face à un cas compliqué avait été complètement paralysée, car dépourvue des équipements habituels de diagnostic. Le médecin local, souriant, avait géré la situation en palpant et en opérant. Elle en avait été bluffée. Belobelobo se demande si quelqu'un pense à capitaliser tous ces savoirs et pratiques issus du terrain, ou si la théorie dans les formations universitaires est la même que partout ailleurs. A voir. Il se demande aussi ce que donnerait une formation de secourisme dans un tel contexte quand dans d'autres contrées on dit « après avoir mis la victime en PLS, appelez le 15 ». C'est quoi le 15 ici ? En Inde ils ont conceptualisé ce qu'ils appellent « innovation frugale ». Appliquons donc ça...

 

  1. L'argent est rare

A propos de frugalité, la vie au village n’est pas facile. Certes, dans la plupart des cas, on ne meurt pas de faim. En tout cas pas complètement. En effet, la plupart des planteurs ont leur petit champ dans lequel ils cultiveront des aliments de subsistance (arachide, maïs, manioc, plantain, etc). Oublions momentanément les « elders » esseulés qui n’ont plus la force d’aller au champ. Faisons comme si la solidarité s’en charge tous les jours. Faisons comme si. Mais sortis de ces aliments cultivés, il est indéniable qu’ils ont besoin (en tout cas ils l’estiment) de compléments que l’on se procure avec de l’argent : viande (depuis l’interdiction de cheptel en liberté, ils sont rares ceux là qui ont quelques porcs ou chèvres. Et même pour les pièges, il faut de l’argent pour le fil de fer, ou pour les cartouches) autre biens jugés nécessaires, sans parler de la scolarité, l’hôpital quand l’enfant est malade, etc.. L’argent est rare. C’est ce qui manque le plus.

Dans ce contexte, qui peut palper du liquide ? Les fonctionnaires affectés sur place (enseignant, policier, médecin, etc.), les commerçants (qui achètent ailleurs et revendent sur place, donc plus cher qu’ailleurs, pour des populations plus désargentées qu’ailleurs) les employés des sociétés forestières ou minières et enfin, le villageois qui arrive à vendre un peu de sa production de subsistance, ou le planteur qui vient d’écouler son cacao.

Au cours de la balade en forêt évoquée précédemment, Belobelobo a par exemple demandé à Junior qui se plaignait de la rareté de l’argent s’il n’arrivait plus à écouler ses produits (maïs, manioc et autre) au marché de Djoum. Junior a répondu « ici, même les fonctionnaires cultivent déjà. Les produits ne passent plus au marché ». Il a quand même ajouté peu après « c’est à cet endroit que j’ai eu mes 500 mille en main l’an dernier. L’acheteur de cacao est venu ici jusque dans mon champ. J’étais lourd. Les petites filles du lycée me cherchaient comme si j’étais une étoile. Ah, c’était bien hein ! ». Junior est l’un des planteurs de cacao les plus responsables de son village (quantité, qualité, entretien de sa famille). Et le reste ? Belobelobo se demande pourquoi les planteurs ne se réunissent pas pour aller vendre eux-mêmes leur cacao à Douala au lieu de se le faire acheter à vil prix sur place. Ils ont déjà répondu : On n’a pas confiance aux autres, et puis il faut un capital de départ pour investir dans les premiers transports. Belobelobo a bien quelques idées qui permettraient aux gens sur place d’avoir un peu plus d’argent frais en main, ou d’avoir à moins en dépenser. On verra ça plus tard…

 

  1. La république partout

Nous sommes rendus au 19 Mai. Le soir. Veille de fête nationale. Belobelobo se balade dans la ville. La nuit est déjà tombée. Brusquement, un groupe d’enfants, ils tiennent des flambeaux. On lui dit qu’ils s’apprêtent pour la « retraite au flambeau ». Il veut regarder. Enthousiaste. L’encadreur des enfants finit de les préparer. Tout est prêt ? oui, ils vont commencer. Cela se fera bien sûr en chant. Prêts ? Parti

  • Paul Biya, Paul Biya, notre présideeeeent, Paul Biya toujours vainqueur

Belobelobo en est resté bouche bée. Il se demande si il n’y avait pas d’autres chansons un peu plus, disons républicaines. Il est vrai que dans sa jeunesse aussi, on chantait déjà cette chanson. Comme quoi…

 

  1. Si tu ne fais pas la politique, c’est la politique qui va te faire.

A Djoum tout le monde ou presque fait la politique. Nous sommes au cœur du pays organisateur comme a dit l’autre. Dans chaque village, on trouve plusieurs cellules du parti au pouvoir. Le maillage est total. Et tout le monde ou presque pense que la réussite personnelle passera par l’engagement politique : Pour les nominations du point de vue des élites (quasiment toutes élites administratives et fonctionnaires, très peu d’entrepreneurs), pour les postes politiques (R, OF, OJ, députés et maire, complétez vous-mêmes) pour les politiciens. Il n’y a pas qu’eux. Même nos amis « d’en bas » sont à fond. Il fallait voir l’effervescence en Novembre dernier lors du « renouvellement des organes de base ». Je ne précise même pas le parti parce qu’ici il n’y a qu’un parti. 100% à chaque élection.

Nous sommes donc le 20 Mai, place des fêtes, on suit le défilé. Celui-ci est moins entrainant que celui de l’an dernier. Moins de militaires.

 

Bientôt le tour des partis politiques. Belobelobo est assis à côté d’Elodie. En tenue du R. Elle va défiler elle aussi. Il ne peut s’empêcher

  • Je dis hein Elodie, toi tu es dans le R pourquoi ? par idéologie ?

  • Pourquoi ? est ce que je sais même ?

  • J’ai grandi dedans depuis toute petite. Donc je militais déjà. Et maintenant je milite parce que mes gens sont en haut. Donc je les soutiens. C’est pour ça, je crois.

Elle reste pensive un moment. Puis elle se lève, elle va défiler.

 

  1. L'école pour tous...

Belobelobo a fait quelques projets avec le Lycée de la commune par le passé. C'est donc naturellement qu'il va voir le proviseur. C'est la période de correction des copies des concours d'entrée en 6ème. Dans ce lycée, il y a 180 places en 6ème (3 classes). Il n'y a eu que 140 candidats au concours. Pour ne pas fermer de classe, il faut donc avoir bien plus de 160 élèves, en comptant les redoublants. Cela signifie, recruter des enfants du CM2 ayant eu 5 de moyenne au dit concours. Souche des examens faisant foi. Il faut dire que l'on ne redouble pas à l'école primaire publique. Les élèves présentant le concours viennent des écoles primaires des villages alentour. Il n'est pas rare qu'il n'y ait qu'un enseignant pour toutes les classes, parfois le directeur lui-même. Comme on ne redouble pas, les élèves arrivent au concours « les mains les mains ». Et on les prend en 6ème. Commence alors le challenge de les emmener au niveau avant le bac. Belobelobo se dit que ses efforts sur le plan de l'éducation doivent désormais suivant cet axe...

 

  1. divers

    Il a vu bien d'autres choses. Par exemple ces fabricants de tabourets en bambou que l'on trouve le long de l'axe Mbalmayo – Yaoundé à 300 FCFA pour les plus petits et 500 FCFA pour les plus grands. Belobelobo se demande si le travail humain est véritablement rentabilisé à ce prix, ou si ce prix ne correspond qu'à ce que les clients sont prêts à payer. Il faudra les rencontrer un de ces jours. Il pense ensuite à ces fabricants de voiture en bambou à Djoum. Cela fait des années qu'il en voit de moins en moins, alors que de son temps, les enfants s'éclataient avec. Il y aurait peut-être quelque chose à faire ? On verra ça aussi...

     

    Mais ne faisons pas trop long. Il y a énormément d'autres choses à dire. En d'autres temps, peut-être en d'autres lieux...

 

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