Salomon Amoudje est dans son cabinet. Il lit l’Ecclésiaste. Entre une dame, la cinquantaine bien sonnée. On voit qu’il s’agit là d’une bonne connaissance, puisque Salomon se lève et lui fait chaleureusement la bise. La conversation s’engage

   

-            Eh, la mère, quel bon vent t’emmène ?

-            Eh mon petit Salo, je passais te voir pour te dire de parler si tu peux à ton ami là. Il me cause tellement de soucis cet enfant là.

-            Euh enfant, c’est beaucoup dire la mère. Nous avons bien grandi depuis l’époque où on jouait en culottes courtes.

-            Tu sais que pour une mère son fils reste toujours un bébé.

-            Qu’est ce ton fils a alors fait ?

-            Tu lisais ? L’ecclésiaste. C’est vrai que tu es sage comme ton homonyme qui a écrit ça.

-            Il disait justement « Vanité des vanités, tout est vanité ». La mère n’essaie pas de me flatter. Tu disais que ton fils a fait quoi ?

-            Il va se marier.

-            Mais, ça c’est une bonne nouvelle non ?

-            Oui, mais le problème est la manière il veut vivre avec sa femme là. Vraiment nos enfants qu’on a envoyés en Europe là, maintenant les Blancs leur ont tourné la tête ?

-            Qu’est ce que les Blancs lui ont dit ?

-            Figure-toi que leur couple là, c’est le style où le gars prépare. Il fait la vaisselle. Et le ménage. Mon propre fils n’est plus un homme !

-            Donc, c’est elle qui porte la culotte ?

-            Ce n’est même pas ça. Ils ont des discours égalitaristes là. Ils font les tours de cuisine, et de ménage. Parce que, écoute bien hein, parce que, je les cite « il n’y a pas de raison que ce soit toujours elle qui se tape les corvées ». Je demande hein, nous autres, on faisait la magie ?

-            Et cela, ça te choque.

-            Oui, c’est un drame, presque une honte.

-            Pourquoi ?

-            Ils renient nos traditions ancestrales. SI nos ancêtres voyaient ça, ils se retourneraient dans leur tombe.

-            C’est le fait qu’ils ne respectent pas les traditions qui t’énerve ?

-            Oui, non ?

-            Pourquoi ?

-            Comment ça pourquoi ?

-            Pourquoi faudrait-il respecter les traditions ? Car j’imagine que tu n’encouragerais pas à une pratique mauvaise. En d’autres termes, pourquoi penses-tu que la tradition de tes ancêtres est bonne ?

-            Si nos ancêtres l’ont adoptée, il y avait bien une raison non ? tu penses que nos ancêtres étaient bêtes ou quoi ?

-            Je n’ai pas dit ça. Je suis même sûr qu’ils avaient une bonne raison. Ne dit on pas que « si tu vois le crocodile acheter un pantalon, c’est qu’il sait où il va mettre sa queue » ? Les gens ont toujours une bonne raison. Maintenant, ces Blancs là, ceux dont tu parles, qui veulent pervertir ton fils, n’avaient ils pas aussi des ancêtres, qui leur auraient inculqué ces pratiques que tu réprouves ? Tu ne penses pas que leurs ancêtres à eux avaient eux aussi une bonne raison ? Ou bien penses tu qu’ils étaient bêtes ?

-            Ça ne m’étonnerait pas qu’ils aient été bêtes

-            La mère, si tu dis comme ça, sans justification, que les Blancs sont bêtes, c’est du racisme. Et je ne peux pas te suivre là dedans.

-            Tu as raison, je m’excuse.

-            Ils avaient donc une bonne raison selon eux d’avoir leur tradition. Tes ancêtres avaient une bonne raison. Les ancêtres des autres aussi. J’en reviens donc à ma question. Pourquoi penses-tu que la raison de tes ancêtres était la meilleure ?

-            Parce que ce sont mes ancêtres.

-            Et qu’est ce qui singularise tes ancêtres par rapport à ceux des autres ? Je vais te le dire. Ce sont TES ancêtres. En gros, tu me parles de toi quand tu me parles de TES ancêtres. Et si la tradition de tes ancêtres est a priori meilleure qu’une autre, c’est parce que tu te penses meilleure que les autres. C’est bien ça ?

-            Toi tu aimes trop faire la rhétorique, dis-donc ! Ce n’est pas pour rien qu’on te surnommait « Mon Salo »

-            La mère, tu sais que j’ai raison, c’est pour cela que tu ne réponds pas. Et se penser meilleur, pour rien comme ça, cela c’est de la vanité. Tu sais ce que mon homonyme, comme tu l’as appelé, pensait de la vanité. Et toi, tu penses que la vanité c’est une qualité ou un défaut ?

-            Un défaut.

-            Laisse là donc la vanité. Ce que je vais te conseiller, tu me diras si tu es d’accord hein, c’est si tu penses qu’une chose est mauvaise, de montrer en quoi cette chose est mauvaise, au lieu de faire appel à tes ancêtres qui avaient leurs raisons à eux de faire les choses qu’ils faisaient. Cela te va ?

-            Cela me va

-            D’autant plus que toi même tu n’as pas hésité à renier tes ancêtres quand ça t’arrangeait.

-            Comment ça ?

-            Par exemple, dans la tradition de tes ancêtres, celle où les hommes n’entraient pas dans la cuisine, tu omets de dire que les femmes ne mangeaient pas non plus avec les hommes. Elles les servaient et s’éclipsaient. Or toi, il faut te voir à table avec ton mari. Surtout quand tu donnes une de tes réceptions fameuses.

-            Ah ah ah. Tu as raison. Laissons là les ancêtres. Je n’aurais aucun mal à te montrer pourquoi le comportement de mon fils est mauvais.

-            Vas-y je t’écoute

 

Le lecteur retrouvera la suite de ce discours dans la seconde partie =>  Salomon Amoudje: Des tâches ménagères et les hommes...

 


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