Salomon Amoudje reçoit un de ses amis, Nick Malondo. Celui-ci a une heureuse nouvelle à lui annoncer : Sa femme est enceinte. De quatre mois.

   

-            Félicitations mon ami. Je suis vraiment content pour vous deux.

-            Merci mon frère

-            Vous avez commencé les démarches administratives ? La crèche et tout ça. Il paraît qu'en France où tu vis, ça ne blague.

-            C'est vrai. C'est en cours, mais ce n'est même pas ça qui me dérange. Déranger est même petit, ça me scandalise !

-            Qu'est ce qui te scandalise mon ami ?

-            Le nom, mon frère, le nom !

-            Mais encore

-            Tu sais que dans nos traditions, on a une manière spécifique de donner les noms

-            Tu vas me la rappeler

-            Beh tu sais, chacun a son nom auquel on accole le nom de son père. Par exemple, notre président s'appelle Paul Biya Bi Mvondo. Biya c'est son nom, et Mvondo c'est le nom de son père. Biya, fils de Mvondo. Et c'est inadmissible, limite castratrice que l'on nous empêche d'honorer nos valeureuses traditions.

-            Ah, donc c'est grave ?

-            C'est scandaleux. Ce sont nos enfants, on les appelle comme on veut. Merde !

-            Calme-toi. Dis-moi, tu m'autorises à te poser quelques questions pour questionner la pertinence de ton indignation ?

-            Vas-y

-            Tu dis que dans « nos » traditions, il existe une structure du nom « Nom + Nom du Père ». Et qu'en occident, en France par exemple, il y a une autre structure du style « Prénom + Nom de famille », et c'est pour cela qu'on ne veut pas te laisser adopter ta structure ancestrale. C'est bien ça

-            On ne pouvait pas mieux résumer

-            Dis-moi, ta structure est elle meilleure que la structure occidentale ?

-            Bien sûr

-            Pourquoi ?

-            Parce qu'elle vient de nos ancêtres

-            Pourquoi serait elle meilleure parce qu'elle vient de nos ancêtres ?

-            Parce que ce sont mes ancêtres.

-            Et pourquoi tes ancêtres auraient ils pris des décisions plus judicieuses que les ancêtres des autres ?

-            Parce que.

-            Je vois. Si on continue comme ça, on va aboutir à la réponse que c'est toi qui es meilleur, raison pour laquelle la décision de TES ancêtres, indépendamment de sa pertinence, est meilleure. Dis-moi, es tu meilleur que les autres ?

-            Non

-            On conclut donc que ta structure de nom n'est pas meilleure qu'une autre. Dis-moi, sais tu pourquoi tes ancêtres ont adopté cette structure ?

-            Oui, c'était pour identifier les individus. On te donnait un nom, et comme les noms utilisés dans les tribus étaient assez limités, et risquaient de se retrouver chez plusieurs individus. On accolait alors le nom de leur père pour les différencier

-            Parfait, le nom jouait bien son rôle. Il permettait d'identifier le plus finement possible les individus. Ce que les autres structures (occidentale aussi) permettent de faire. A ce titre, ton système n'est donc pas meilleur ou moins bon que les autres. C'est un système. Ok avec ça ?

-            Ok avec ça.

-            Continuons les questions. Nous avons dit que ton système est celui qui a été choisi par tes ancêtres un moment donné. Mais dans ce système, dis-moi, y avait-il des prénoms ?

-            Non bien sûr, ils sont arrivés après, avec la christianisation et la colonisation.

-            Pourtant toi même te présentes comme Nick Malondo. Même quand tu viens au Cameroun. Ça veut dire que ton interlocuteur ne connait même pas le nom de ton père, celui de ta fameuse structure. N'est il pas vrai (et je reprends ton propre exemple), que le président se fait appeler Paul Biya ? Et que très peu de gens savent quel est le nom de son père ?

-            Si c'est vrai.

-            Cela prouve que les structures évoluent, même celles de ton pays.

-            Tu as raison

-            Et tu sais comme moi, que quand un système évolue sans contrainte (obligation, punition), il évolue vers ce qui sied le mieux à ses utilisateurs, ce qui leur est le plus pratique

-            Et alors ?

-            Attends, j’y viens. Tu parlais du président Biya, comment s’appelle son fils aîné?

-            Franck Biya

-            Hum. Franck Biya, il n’a pas de nom ? Biya c’est bien le nom de son père non ?

-            Ça peut aussi être son nom. Il s’appellerait peut-être Franck Biya Biya.

-            Mais tu n’en es pas sûr. Et comment se nomme son deuxième fils ?

-            Euh, Junior Biya

-            Lui aussi a deux fois le même nom ? ce que je veux te faire remarquer, c’est que les traditions évoluent tellement que la structure qui a cours actuellement dans TON pays, est quasiment transformée en la structure occidentale. Il n’est pas rare que pour des couples qui ont moins de 50 ans, on parle de « famille Untel », et que tous les enfants se fassent appeler « Enfant1 UNTEL, Enfant2 Untel, etc », ces enfants à leur tour donneront et donnent déjà des enfants qui se font eux aussi appeler « petitfils1 UNTEL, petitefille1 UNTEL ». Cela signifie donc qu’usuellement, la structure occidentale a été adoptée. Je ne dis pas que c’est bien. Je ne dis pas que c’est mal. C’est une structure, librement choisie, et donc qui sied mieux aux gens qui l’utilisent.

-            Tu dis toi-même qu’ils choisissent librement cette structure, ça veut dire que le système camerounais est permissif, pourquoi ici je ne pourrais pas choisir ma structure, celle de mes ancêtres ?

-            Tu peux. Mais ce ne serait pas parce qu’elle est meilleure que les autres. Tu peux en faisant établir un certificat de coutume au Cameroun.

-            Que de contraintes. Tu me donnes les sous pour aller faire ça au Cameroun ? Mais j’y pense un avantage de notre structure. Il permet de rendre hommage aux personnes appréciées en donnant leur nom aux enfants. Ainsi Malondo c’est le nom de mon grand oncle, qui s’est bien occupé de mon père. Qui m’a donnés son nom. Le système des mbombo quoi !

-            Mais la structure occidentale le permet aussi. Avec les prénoms. Tu noteras que les prénoms ont de plus en plus d’importance au cameroun. Ils sont donc en voie de devenir un attribut du mbombo parfaitement valable. Tu veux dire que tes enfants à toi auront quel type de structure de nom ?

-            Etant donné tout ce que je viens de raconter, il va de soi qu’ils s’appelleront tous « Prénom AMOUDJE », car cette structure, dans le contexte où je vis, remplit très bien son rôle : permettre d’identifier ces individus que seront mes enfant…

-            En tout cas…

-            Tu vois en tous cas qu’il n’y avait aucune raison de s’énerver et de crier au scandale comme tu l’as fait initialement…

   

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