C’est ainsi que Pedro se retrouva à aller chez Atemengue. Atemengue qui exerçait officieusement, avec l’aval du père Barnabé, les fonctions d’enseignant des choses religieuses pour les bannis sa vantait d’un taux de réussite excellent au jeu de questions réponses pour ses élèves. Il avait effectivement étudié profondément la bible, de même le type de réponses que Barnabé attendait. Il avait constaté que les deux ne se confondaient pas toujours. L’esprit et la lettre. Beaucoup avaient choisi la lettre. Atemengue se contentait donc d’enseigner à ses élèves ce que le père Barnabé voulait entendre. Mais il avait été séduit par l’intelligence de Pedro, et avait donc décidé de lui en apprendre plus qu’aux autres, sur la religion, sur les Hommes et sur la vie.

Et il en savait un rayon sur la vie. Il faut dire qu’il avait été baigné très jeune dans le bain de la sapience. Sa mère fabriquait et vendait en effet du « Aaarrr » encore appelé « Odontol ». C’était un alcool à base de mais fermenté et distillé qui tirait ses deux noms du fait pour le premier que l’on ne pouvait pas en boire une gorgée sans faire ce bruit avec la bouche (pour laisser passer le produit), et pour le second du fait que quand on en buvait, on se retrouvait très rapidement en train de montrer ses dents dans un petit rire niais, qui exposait ses dents. Odontol étant alors la marque célèbre de dentifrice. C’est grâce à cette occupation qu’Atemengue fut immunisé contre les piqûres d’abeille. Il avait en effet prit l’habitude de boire les fonds de cuves des productions de sa mère. C’est ainsi que dès sept ans il était très souvent saoul. Il fut retrouvé plus d’une fois derrière la case de sa mère dans un sommeil quasi éthylique. Les abeilles avides de sucres (présent dans cet alcool notamment) avaient pris l’habitude de venir se repaître directement sur sa bouche pendant ses sommeils. Vu son penchant naturel pour cette boisson, il était donc naturel qu’il trainât auprès des meilleurs clients de sa mère : Les anciens du village, ceux là même qui n’avaient plus assez de forces pour les activités champêtres. Ceux là qui recelaient la sagesse. Il apprit donc quantité de proverbes et de maximes de vie. Qu’il essaya de mettre en pratique tout au long de sa vie.

C’est donc cette accumulation de choses qu’il entreprit de transmettre à Pedro. Nous avons déjà vu ce qu’il a pu lui enseigner sur le racisme et le tribalisme. Il lui apprit à aimer son prochain comme lui-même, c'est-à-dire à se mettre à la place des gens qu’il pouvait vouloir offenser comme à celle des gens qui pouvaient l’offenser pour comprendre leurs motivations et voir si lui-même n’aurait pas agi de la même manière. Les maximes qu’il utilisait pour illustrer cette recommandation étaient « C’est l’eau qui permet au poisson de vivre qui sert aussi à le cuire » et « La demoiselle qui se moque des seins flasques de sa mère accouchera à son tour ». Il lui apprit à ne pas avoir peur de ses rêves et à ne jamais hésiter à entreprendre. L’échec ne faisait mal que si on n’avait pas donné le meilleur de soi même : « Ce n'est pas parce que c'est dur que l'on n’ose pas, mais c'est parce que l'on n’ose pas que c'est dur » et « Si tu crois que tu es trop petit pour avoir un impact, passe une nuit en tête à tête avec un moustique ». Et si on devait ne pas avoir peur d’entreprendre, on risquait bien de réussir, auquel cas il ne fallait pas se laisser griser par ses propres succès ou richesses extérieures : « Plus tu t’élèves toi-même, plus ceux qui restent à terre te voient petit » et « Une pirogue n’est jamais trop grande pour chavirer ». Tout succès sera en effet obtenir grâce au concours d’autres personnes, car c’est très rarement que l’on pouvait tout faire seul : « Le fleuve fait des détours parce que personne ne lui montre le chemin » et « Un seul doigt ne peut ramasser un caillou ».

Il lui dit cela, mais il lui dit bien d’autres choses. Pedro, comme il le réalisera bien des années plus tard, avait vraiment eu de la chance d’avoir un maitre comme lui. Mais avant que ces années se soient écoulées et qu’il le réalise, bien avant, l’examen de passage pour le catéchisme arriva. Pedro devait se présenter chez le père Barnabé à huit heures et demie précises. Lui qui n’avait pas stressé pour les précédents examens fut debout aux aurores. Il ne tenait pas en place et n’arrêtait pas de tourner en rond. Il joua un peu avec Mellyn en attendant l’heure. Il n’avait que ça à faire car il ne put avaler une miette. L’heure arriva et il partit. Barnabé le reçut froidement. Il savait que les élèves d’Atemengue étaient en général bien préparés. Mais Pedro, vus ses antécédents familiaux et ses prestations aux examens précédents était sans doute faillible. Il attaqua avec les questions, toutes plus difficiles les unes que les autres

-          Qu’est ce que le mal ?

-          Le mal c’est quand on fait ce que Dieu n’aime pas, ou quand on ne fait pas ce que Dieu aime

-          Comment sait-on ce que Dieu aime ?

-          En regardant la parole de Dieu, et en écoutant ce que le père Barnabé dit

Barnabé, qui n’était qu’un homme, ne put s’empêcher de sourire. Flatté. Les enseignements d’Atemengue faisaient mouche. Il se demanda s’il devait se radoucir. Décida que non. Et continua avec les questions difficiles.

-          Quel est le seul péché impardonnable ?

-          Le Blasphème contre le saint esprit.

Les réponses fusaient du tac au tac. Barnabé commençait à désespérer quand il posa la dernière question. « Qui sont les gens qui ont tué Jésus ? ».  Je ne sais pas très bien quelle réponse il attendait, et visiblement Pedro non plus ne sut pas. Il resta là à regarder son interlocuteur. De grosses gouttes de sueur commençaient à perler de son front. Barnabé jubilait. Il appuyait là où ça fait mal en répétant la question. Pedro se décida à avancer :

-          Ce sont les Blancs qui ont tué Jésus.

-          Donc je l’ai aussi tué ? ça te fait un nouvel échec. Comment !!!

Barnabé était visiblement indigné. Et Pedro pleurait. Il pleura tout au long de son chemin, en traversant tout le village. Il pleurait toujours quand il passa devant la maison d’Atemengue. Celui-ci le héla et lui demanda la raison de ces pleurs.

-          Jeune homme, est ce que les hommes pleurent comme les femmes? qui t’a tapé ? qu’est ce qu’il y a ?

-          J’ai échoué ! Il m’a demandé qui a tué Jésus. Et j’ai répondu que ce sont les Blancs qui ont tué Jésus.

Sans mot dire, Atemengue se leva et se dirigea au pas de charge vers la paroisse. Tous ceux qui avaient vu Pedro passer en pleurant, et qui voyaient maintenant passer Atemengue furibard, lui qui ne s’énervait jamais, en déduisaient qu’un spectacle se préparait. Ils lui emboitaient donc le pas. C’est donc une dense qui déboucha chez le père Barnabé. Celui, alerté par le brouhaha, était sorti sur le pas de sa porte. Atemengue l’apostropha depuis la route dans un style que par politesse, nous édulcorons quelque peu :

-          Je dis hein, ça ne va pas ? Tu dis que l’enfant que j’ai préparé a échoué ? Tu remets mes compétences d’enseignant en doute ? Tu lui demandes qui a tué Jésus et quand il répond que ce sont les Blancs tu dis qu’il se trompe. Dis-moi un peu, il y avait un Arabe, un Chinois ou un Noir là-bas ? Ceux qui l’ont tué n’étaient pas Blancs ? Hein ? Tu dis qu’il a échoué, mon meilleur élève ? Donc je suis fou pour l’envoyer à l’examen ?  Là chèvre et le régime de plantains qu’il m’a donnés pour que je lui garantisse son succès, tu veux que je rende ça comment ? Vraiment si tu ne veux pas que je m’énerve, si tu ne veux pas que je m’énerve…

-          Mais Atemengue, balbutia Barnabé, il a mal entendu, je lui ai dit qu’il a réussi. Il est maintenant un Chrétien à part entière.

La foule exulta, Atemengue se calma et Pedro cessa ses pleurs. Pendant que tout le monde rentrait, Atemengue décocha une gifle retentissante sur la joue de Pedro. Celui-ci chut, et recommença à pleurer. Il se demandait ce qui lui arrivait.

-          Tais-toi, arrête moi vite ces pleurs là. Je t’avais dit quoi à propos de LES et de certains quand nous étions dans le car ? Et toi, à la première occasion tu recommences à accuser LES Blancs. Est-ce que Miguel a tué Jésus ? Il n’est pas Blanc ? Ce ne sont donc pas LES Blancs. Tu méritais de rater ton examen. Certains ont voulu éliminer les Juifs parce qu’ils auraient aussi tué Jésus. Toi maintenant tu parles des Blancs. Vraiment !!! Tu as de la chance que je t’aime beaucoup.

Il laissa là Pedro. Il massait sa joue, le regard pensif, réalisant son erreur. Mais il ne savait toujours pas qui avait tué Jésus…

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