Dans le dialogue « Gorgias », Socrate a fort à faire. Il discute avec deux adeptes de la rhétorique devant un parterre de personnes aimant les échanges vifs et brillants. Il discute notamment avec Gorgias qui se vante de pouvoir répondre à n’importe quelle question de manière plus convaincante que le spécialiste de la question. Il sera mis en difficulté par Socrate, et Polos, son élève qui s’estime aussi fort que le maître volera à son secours pour remettre Socrate à sa place. Sans beaucoup plus de succès. Suivra un troisième qui essuiera le même échec. La conversation entre Socrate et Gorgias aura porté sur beaucoup de sujets connexes à ce qui fait un homme bien, et si la rhétorique en était (Socrate soutenant que non et Gorgias oui).


       Le présent article se focalisera sur le point de leur discussion qui consistait à savoir si le tyran (qui par définition a tous les pouvoirs, y compris de commettre l’injustice, un peu comme les orateurs, qui par leur talent peuvent tout obtenir) pouvait être heureux.


       Socrate soutenait que non, et Gorgias qui originellement affirmait que oui, a été obligé de se dédire. Gorgias affirmait que le tyran était heureux car il partait juste de l’observation de ce qui est : Comment un homme qui peut obtenir tout ce qu’il veut, tout ce qui lui fait plaisir peut il être malheureux ? Cela était absurde. La réfutation de Socrate a consisté à dire que le tyran était en réalité le plus impuissant des hommes. Et donc le plus malheureux car il n’obtenait pas ce qu’il voulait. Les étapes de cette argumentation étaient les suivants

1)      Accord sur le fait que celui qui ne fait pas ce qu’il veut est impuissant

2)      Ce qui nous fait Plaisir n’est pas synonyme de ce qui est bien.

Par exemple, pour avoir un corps en bonne forme, il faut souffrir sur la piste d’entrainement. C’est bien pour le corps, mais ça ne fait pas plaisir. Réciproquement, le chocolat peut faire plaisir, mais être mauvais pour le corps.

3)      On veut ce qui est bien pour nous, pas forcément ce qui nous fait plaisir

Par exemple, personne ne dirait que penser à avaler de la quinine est un plaisir, mais tout le monde dira quand il a la malaria, qu’il veut guérir (bien de son corps ou de santé), et cela revient à ingérer de la quinine : On veut ce qui est bien pour nous

4)      L’âme est encore plus importante que le corps

Si le corps est important pour l’homme, son âme l’est encore plus. Gorgias s’est mis d’accord là-dessus.

5)      L’âme est bien quand elle va vers ce qui est juste

On dit qu’une âme va bien quand elle tend vers le juste. Un homme injuste a une âme en mauvaise santé. Et le juste est celui qui a la bonne âme

6)      Donc nous voulons ce qui est juste

Puisque l’âme est le plus important, et qu’elle est bien quand on est juste, il faut donc, par ce qui précède, que ce que nous voulons vraiment, c’est ce qui est juste.

7)      Donc le tyran, injuste, est par définition malheureux, car il ne fait pas ce que son âme, son « moi » profond, veut.

En effet, il vaut mieux être un homme juste (plénitude du bonheur et coup aux orateurs qui ne sont pas toujours justes), ensuite un homme qui commet une injustice mais qui est puni (c’est ce qui permet de réparer l’âme d’après Socrate) et enfin un homme injuste qui échappe à la punition (la pire des situations)

 

       CQFD. Victoire par KO. Mais Maki Avele qui passait par là, a identifié une faille dans le discours de Socrate, et entreprend de lui répondre dans le court dialogue qui va suivre.

 

-          Bonjour Socrate

-          Bonjour Maki

-          Tu as toi-même dit en parlant à Gorgias tout à l’heure que si quelqu’un dans l’assistance souhaitait te réfuter, ce serait ton plus grand plaisir

-          Je l’ai dit Maki, souhaites tu me faire ce plaisir ?

-          Je commence par dire que je suis d’accord avec toi sur le fait qu’il faille aller vers le bien si l’on souhaite être un homme bien, mais j’attire ton attention sur la faille de ton raisonnement concernant le point précis du bonheur du tyran que tu viens d’aborder.

-          Je t’écoute

-          Réponds-moi Socrate, peut-on résumer la force de ton argumentation en disant ceci: L’âme est plus importante que le corps et il faut donc lui donner ce qu’elle veut, ie le bien ?

-          On peut dire cela.

-          N’est-il pas vrai Socrate que ton argumentation a encore plus de poids parce que tu as montré précédemment que même pour le corps (moins important que l’âme), ce qui fait plaisir ne correspond pas à toujours à ce que l’on veut ?

-          Cela est exact

-          J’y vois deux failles. La première est que même pour le corps, on ne veut pas toujours ce qui est bien pour nous. Or cela tu le présupposes.

-          Comment cela ?

-          Prends l’exemple du fumeur. Il sait bien que son geste est mauvais pour sa santé. Pourtant il accepte de dégrader sa santé pour satisfaire à son plaisir. Penses tu que j’affabule ?

-          Nnon, mais le veut il vraiment ?

-          Si en connaissance de cause, il opte pour cette solution, je déduis qu’il le veut. Un peu comme quand on te reprochait de t’adonner à la philosophie à ton âge au lieu de te concentrer sur des activités qui serviraient tes intérêts matériels. Tu répondais que tu préférais vivre comme tu veux, tant pis pour l’argent, et donc ton corps.

-          Oui, et ?

-          Il faut donc nuancer ton propos et dire « Que l’on veut ce qui est bien pour nous (au détriment de ce qui nous fait plaisir) uniquement quand ce qui est bien pour nous est un objectif que l’on s’est fixé ». Cela, même pour notre corps. Car si la santé de notre corps n’est pas notre objectif, sa poursuite ne sera pas ce que l’on veut. Et puisque ta démonstration s’appuyait sur le corps comme exemple, pour atteindre l’âme, elle en est de facto affaiblie.

-          Continue ami Maki

-          Cela c’est la première étape. Admettons que l’on soit en présence de quelqu’un qui a pour objectif ce qui est bien. Dis-moi Socrate, si, ta santé est un objectif, il y a-t-il des moyens pour que toi ou un autre mesure l’évolution de cet objectif ?

-          Oui, si je tombe malade par exemple

-          Exact, cela signifie que quand tu t’éloignes de ton objectif d’une bonne santé, tu constates des inconvénients qui te perturbent, notamment les maladies.

-          Oui

-          Ne penses tu pas (tu l’as d’ailleurs dit plus haut) que c’est à cause de ces inconvénients que certains décident d’avoir pour objectif une bonne santé, donc ce qui est bien, c'est-à-dire, parce que j’ai peur du cancer que je ne veux pas fumer même si cela me fait plaisir, ou parce que j’ai peur de mourir de la malaria que je prends la quinine même si elle ne me fait pas plaisir ?

-          SI, nécessairement, c’est toujours pour cela

-          Donc, on se fixe comme objectif ce qui est bien (surtout si au détriment de plaisirs) parce que ce qui est bien a des avantages concrets (ou nous préserve d’inconvénients concrets). C’est notamment pour cela que le fumeur pèse le pour et le contre et choisit de fumer ou pas selon son évaluation des avantages et inconvénients des deux alternatives.

-          C’est cela.

-          Au moins pour le corps. Or, le corps appuie tes démonstrations sur l’âme. Faisons donc de même. Dis-moi Socrate, celui qui commet l’injustice a-t-il des inconvénients concrets ou perd il un quelconque avantage en la commettant ? Je veux dire, pour celui qui fume, il a un cancer du poumon. Pour celui qui commet l’injustice, que risque-t-il ?

-          La prison, la punition

-          Voyons Socrate, tu te souviens que nous parlions du tyran, celui qui fait les lois, et qui n’a donc rien à craindre de la prison. Ce n’est donc pas ça. Non, Socrate, nous sommes forcés d’admettre qu’il n’y a rien qui donne envie de tendre vers le bien comme objectif pour l’âme. Le remord n’a aucun poids pour le tyran. N’es tu pas d’accord ?

-          Nous sommes forcés de l’admettre Maki.

-          Nous le sommes, sauf si l’on fait intervenir Dieu, ce que tu n’as pas fait. Un Dieu qui PUNIT ceux qui auront commis l’injustice. Ce n’est que comme cela que certains pourront avoir comme objectif le bien s’ils souhaitent être heureux, par peur de l’enfer (punition divine). C’est sur cela que sont basées les religions qui promettent l’enfer en cas de désobéissance.

-          Si tu le dis Maki, si tu le dis.

 

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