Aujourd'hui (présent)

L’assemblée était réunie ce soir là. Les mâles, après une partie de chasse harassante étaient tous là. Les femelles aussi. Il s’agissait de choisir qui devait désormais être leur chef de meute. Jusque là, ce genre de choix avait été plutôt facile à faire. Le plus fort devenait quasi naturellement le chef. Et quand sa force commençait à décliner et qu’un plus jeune émergeait, soit le chef sortant renonçait et prêtait allégeance, soit un combat déterminait qui était véritablement le chef.

Là c’était différent. Le chef sortant KoudPoin était encore dans la force de l’âge. Il se mit au milieu de l’assemblée. Il poussa un énorme grognement. Les hommes les plus costauds baissèrent la tête. Sauf un. Un chétif vieillard (il avait dépassé la trentaine) se leva et vint lui aussi au milieu, défiant KoudPoin. Celui-ci voulut le frapper, mais six gaillards jaillirent et l’encerclèrent. KoudPoin comprit. Il baissa la tête, baisa la main du vieillard, et recula.

La horde avait un nouveau chef : Rrrohr !

Le moment où tout a basculé (passé)

Rrrohr avait toujours été un malin. Malheureusement il n’avait pas eu un physique robuste. Qualité première pour réussir au milieu de ses congénères homos sapiens. Ils vivaient en effet de la chasse, le physique était primordial. En outre, il commençait à se faire vieux.

Dans la horde, il n’avait donc qu’une place infime. Les femelles le dédaignaient et les mâles le snobaient lors de leurs parties de chasse. Il vivait à l’écart, se contentant de suivre les autres à la chasse, espérant grappiller des miettes. Il avait donc développé sa malice. Précédant les autres et anticipant leurs mouvements. Il pouvait ainsi être positionné vers là où les animaux fuiraient les autres. Et essayer de capter sa pitance. Pour ne pas attirer le courroux des autres, sur lui, il se retirait alors à l’abri, dans la montagne, pour manger tranquillement.

C’est ce qui se passa ce jour là. Il n’avait pas mangé de viande depuis deux jours, et avait eu la chance d’attraper à la volée un petit lièvre qui fuyait le tintamarre fait par la horde en chasse. Il était reparti vers son havre de paix. Quand il fut bien à l’abri, il alluma un feu pour se réchauffer. Il commença à manger, mais rompu de fatigue, s’endormit presque aussitôt.

C’est l’odeur qui le réveilla. Une odeur inconnue. Pendant son sommeil, son bras qui tenait le gigot s’était affaissé et le lièvre était allé s’abimer dans les flammes. Aujourd’hui on dirait odeur de brûlé, mais Rrrohr ne la connaissait pas. Ni personne d’autre d’ailleurs. Réveillé, il chercha sa pitance et en déduisit que c’était elle qui gisait dans les flammes. Comme il s’était endormi sans manger, il avait toujours faim. Il porta le morceau à sa bouche. Ses yeux s’écarquillèrent. C’était bon. Rrrohr sourit.

Ce qui s'est passé entre la bascule et aujourd'hui

Rrrohr avait tout de suite vu les bénéfices qu’il pouvait tirer de son immense découverte. En très peu de temps, il mit au point des recettes en déterminant les durées de cuisson idéales pour telle ou telle viande, et pour telle ou telle saveur. Il constata aussi qu’il n’avait plus de maux de ventre comme auparavant. Il eut aussi l’idée de rajouter différentes herbes odorantes à ses cuissons. Quand il eut l’impression de maîtriser sa découverte, il descendit de sa grotte et alla vers le hameau où vivait la horde. Il alla voir son chef, Koudpoin, et le conseil des hommes forts. Il leur fit goûter en leur disant que les esprits lui avaient parlé et qu’il était désormais capable de transformer la viande de manière à ce qu’elle soit bonne et qu’elle ne transmette plus les maux de ventre dont tout le monde souffrait. Très vite, ce fut la ruée. Tout le monde voulait manger de ce met nouveau.

Il établit la nouvelle règle. Une viande crue était amputée du quart quand elle était rendue cuite à son propriétaire. Résultat, il avait désormais à manger sans avoir à aller courir dans la forêt. Il avait donc eu plus de temps. Il étudia les herbes et les différents effets qu’elles pouvaient avoir, sur tel ou tel douleur. Il initia ce que l’on pourrait appeler agriculture, en produisant quelques plantes alimentaires. Sa position centrale dans le groupe s’en accrut d’autant. Et comme il n’avait plus besoin pour survivre de dépenser toute son énergie, il put accumuler : Il devint le premier riche…

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