Tranches d'enying: L'enterrement d'Annabella ou la vigilance d'Awubidou
26 avr. 2010Annabella décéda. Et tout le monde fut triste. Annabella était de ces âmes dont on trouve que le monde ne mérite pas de les abriter. Elle avait mené une vie pieuse. Toujours serviable, toujours le sourire, et le mot qu’il fallait pour toutes les âmes en peine. Elle avait épousé un homme d’Akom Quarante ans plus tôt. Ils avaient vécu un mariage tranquille pendant cinq ans. Tranquille mais dénué d’enfants. Ce petit détail était du genre à faire mettre la pression sur un homme d’Akom, surtout quarante ans plus tôt. Son mari s’était donc remarié. Et avait eu des enfants. Quelques années après, il était décédé. Sa seconde femme, trop jeune encore selon elle, avait plié bagages avec enfants et était retournée chez elle. Annabella, elle, était restée. Par sens du devoir. Combattant la misère en cultivant la terre. Aidant les plus pauvres, conseillant les plus riches. Ne se mêlant à aucune querelle et apaisant les disputes. De sa voix toujours douce. C’est ainsi qu’elle était devenue la plus aimée d’Akom. C’est donc normal qu’après sa mort, dans son sommeil, Tous ceux qui en avaient eu la possibilité étaient venus lui rendre un dernier hommage. Des villages environnants, de Sangmélima, de Yaoundé et même de Douala.
Tout le monde vint, même Sita Sophie, la nièce du feu mari d’Annabella. Elle vivait à Yaoundé et quand à son arrivée à Akom, Donny lui demanda de repartir avec Pedro, puis de le confier à Pierrot, elle accepta de bon cœur. La précipitation de ce départ plongea la petite famille de Donny dans les préparatifs. Sa garde-robe fut refaite pour pouvoir affronter le standing de la ville, qui quoiqu’on en dise, était supérieur à celui que l’on retrouvait dans une simple école de village. Pauline prépara de nombreux petits plats qui, en plus de plaire à sa famille d’accueil, l’aiderait à se passer progressivement des délices que l’on ne retrouvait que dans la forêt. On lui fit fabriquer quelques unes de ces petites voitures en bambou que les jeunes adoraient à l’époque. Donny et Francis entreprirent de lui donner des conseils. Il lui faudrait bien se comporter chez Pierrot. Etre gentil et serviable envers sa femme, les aider à encadrer leurs enfants encore tout jeunes. Il fit aussi une visite à Atemengue qui lui refourgua quelques proverbes. Avec tout cela, Pedro se sentait plus confiant à l’abord de sa nouvelle vie. Il en était même arrivé à penser un peu moins à Isabelle, partie voilà deux mois déjà.
Le départ fut fixé au Dimanche car les enterrements se déroulent usuellement le Samedi quand l’état du corps, en l’absence de morgue, le permet. Le matin du Samedi, Francis sortit très tôt de sa chambre. Il avait toujours été un lève-tôt. Il aimait profiter de la fraicheur matinale pour regarder le village s’éveiller. Il s’asseyait alors dans un recoin de sa véranda, encore habillé des apprêts de la nuit. Quand il constatait que le trafic allait commencer, il rentrait s’habiller correctement. Le seul partenaire qu’il avait dans ces contemplations matinales était son chat : Awubidou, littéralement la mort des souris. Et il portait bien son nom. Un véritable tueur. Du jour de son arrivée qui remontait à cinq ans, souris, rats, rongeurs de la forêt s’aventurant dans son territoire, tous oublièrent la paix. Même Dickass, le remplaçant de Dick que Donny avait offert à Pedro ne put faire le poids. Les deux animaux, naturellement antagonistes se battirent souvent. Toujours le même vainqueur. Le proverbe dit que la honte est parfois pire que le malheur. Dickass fut de cet avis, sans doute, et décida un beau matin d’aller voir ailleurs s’il y était. Tel était donc Awubidou. Un véritable chat de garde.
Et tous les matins donc, il prenait l’air avec Francis, apparemment inerte, mais guettant du coin de l’œil pour voir si quoique ce soit d’anormal se produisait. Rien d’anormal ne se produisait jamais, aussi les deux larrons profitaient du calme qui précède même presque les chants des coqs. Rien d’anormal ne se passait donc, sauf se matin là. Ce matin là était le matin du jour où l’on enterrait Annabella. Francis avait décidé de prendre en charge les frais de bouche pour l’occasion, et ses cinq femmes étaient donc de corvée. Agatha, toujours aussi coquette, coquine et jolie décida d’aller prendre une douche à la rivière avant que le soleil ne se lève. Dans un pagne hyper serré qui laissait tout deviner, et plus encore, elle passa devant Francis pour se diriger vers la rivière. Plongé dans ses pensées, il ne la vit pas vraiment passer, mais comme chacun peut le constater, parfois le cerveau voit avant les yeux, et même sans que les yeux s’en rendent compte. Et si le cerveau est le centre de traitement des informations, il est aussi le moteur qui commande les membres. Même le quatrième. Il commanda donc, et aussitôt une souris alla se loger dans le caleçon de nuit qu’il portait.
C’est en tout cas l’interprétation que fit Awubidou. Le mouvement furtif et inhabituel qu’il venait de noter dans les habits de Francis était certainement dû à une souris. Quoi d’autre ? Mais où était elle passée ? Et surtout Pourquoi Francis ne bougea pas ? Il l’avait habitué à montrer du rejet face à ces bestioles. Il ne bondit pas tout de suite. Si le caleçon de Francis avait une taille inaccoutumée, il ne notait plus aucun mouvement. La souris se cachait elle ? Il entreprit d’utiliser la tactique de l’indifférence. Il détourna donc les yeux, mais tous ses autres sens étaient aux aguets. Quand il regarda à nouveau, le vêtement avait retrouvé son volume habituel. Elle lui avait échappé. Il n’aimait pas ça. Les minutes passèrent et Agatha revint de la rivière. En avait elle profité pour laver aussi son pagne ? S’était elle baignée avec ? Toujours est-il que l’eau contribuait à la mouler encore plus, rendant le tissu transparent par endroits, les plus rebondis notamment.
Cette fois ci Francis la vit. Son cerveau vit qu’il l’avait vue, traita l’information, et l’envoya où il fallait par le moyen d’un afflux massif de sang. Une souris encore plus grosse vint se loger dans sa culotte. Toujours de l’avis d’Awubidou bien sûr. Pour achever de le narguer, non seulement cette souris était plus grosse, mais elle semblait dodeliner de la tête, remuant à un rythme régulier du fond de sa cachette. Awubidou regarda Francis, et fut surpris d’y voir un sourire béat. Non, cela devait être un test. Ce ne serait pas la première fois qu’un patron teste le sens de l’initiative de son subalterne. Quand on veut être efficace, il faut savoir décider. Awubidou décida. Il bondit. Griffes et dents dehors. Il eut la souris dans sa gueule. Il la sentit fondre jusqu’à devenir aussi petite qu’un cafard. Etait ce de la magie ? Ce ne fut pas la seule transformation subite qui s’opéra. Francis, béat un instant plus tôt se tordait maintenant de douleur et appelait sa maman à l’aide. La pauvre dame étant morte bien des années plus tôt, tous ceux qui étaient réveillés se demandèrent quoi du départ d’Annabella ou ou du montant de la facture des agapes du départ d’Annabella attristait ainsi le chef du village.
Je ne sais pas si vous avez essayé de poser un vêtement sur une plaie ouverte. Sinon, sachez que cela peut s’avérer très douloureux. En tant que chef, Francis dut assister aux funèbres opérations d’ensevelissement. Ainsi qu’au repas qui s’ensuivit. Et pour cela, il dut se vêtir. Il ne pouvait décemment pas, à son âge se balader dans les pagnes que les jeunes garçons nouvellement circoncis portaient tout le temps de la cicatrisation. Tout le monde put voir qu’il arborait une mine compassée. Une mine compassée et une démarche hésitante. Ses laudateurs décrétèrent que « vraiment ça c’est un vrai homme, il n’hésite pas à montrer les sentiments respectueux qu’il avait pour la disparue » tandis que ses opposants (qui hélas n’en a pas ?) se moquèrent en disant « hé ! Regardez moi un chef qui se comporte comme une fillette, vraiment on est tombé bien bas hein ! ». Le comportement inhabituel du chef avait été remarqué. Comportement qui se singularisa encore plus quand il houspilla pendant de longues minutes un enfant qui avait renversé de la sauce (pimentée) sur son pantalon. Certes son pantalon était tâché, mais ce n’était qu’une tâche. Méritait-ce cet énervement ? S’ils savaient. Quand il prit la parole pour conclure la cérémonie, il pleurait à chaudes larmes.