Pour l’amateur de cyclisme, la dernière décennie a été relativement traumatisante. En effet depuis 1998 et le scandale FESTINA, pas une année ne se passe sans qu’un nom plus ou moins important ne soit impliqué : Virenque, Ullrich, Basso, Pantani, Armstrong et maintenant Contador.

Voilà quelques noms jetés en pâture à l’opinion publique. Et ça ne manque pas : De toutes parts, affluent les critiques indignées sur ces malotrus qui trichent, qui trompent les spectateurs, qui bafouent l’éthique, bref de véritables petits criminels en puissance.

J’ai personnellement des difficultés à m’indigner, mais je veux bien comprendre, ou essayer de comprendre, ce qui motive l’indignation de mes contemporains. S’il y a indignation, c’est que nécessairement, quelque part, le dopage est vu comme un mal. Le présent article se propose donc d’analyser la caractérisation de cet éventuel mal. Pour ce faire, nous nous proposons, après avoir proposé une définition du dopage, de lister les arguments généralement avancés lorsque l’on parle de la lutte contre le dopage.

Nous proposons de caractériser le dopage par l’ingestion d’éléments extérieurs à l’athlète, éléments extérieurs contribuant directement ou indirectement à l’amélioration de sa performance.


1.      Les spectateurs sont floués

Le premier des arguments consiste à dire que les spectateurs sont floués. Ils regardent un spectacle en pensant que les athlètes réalisent des exploits dont ils ne sont en réalité pas capables. Cet argument n’est bien évidemment pas valable.

En effet, s’il s’agit d’un spectacle, seul ce qui compte est ledit spectacle. S’il s’agit d’un spectacle, lorsque l’on parle de cinéma ou de théâtre, se demande t’on si les personnages que nous voyons sont réellement ce qu’ils disent être ? Les animateurs TV qui réalisent des prouesses sur le petit écran sont ils réellement sympas ? Ne prennent ils pas de cocaïne (ou même beaucoup de café) pour tenir ces cadences effrénées ? Personne ne le vérifie, au moins dans le cadre de ces spectacles.

Et même au-delà des spectacles. La femme que vous épousez vous aime t’elle vraiment comme elle le dit ou est elle là pour votre argent ? Le petit-fils soudainement attentionné pour sa grand-mère l’est il par amour ou en attente de l’héritage ? La prostituée qui gémit sous vos assauts ressent elle vraiment du plaisir ? Et même dans le sport, le coureur cycliste qui simule une fringale dans un col pour mieux attaquer plus tard n’a-t-il pas floué et ses adversaires et les spectateurs ? Celui qui se fait battre à la pédale et qui simule une maladie pour garder la face ne floue t’il pas tout le monde ?

Bref, dans le sport comme dans tout, il y a des résultats, qu’ils soient de façade ou pas. Dans les autres domaines, les acteurs ne sont pas cloués au pilori, pas de raison qu’ils le soient dans le sport non plus.


2.      Le dopage est une tricherie (règles non respectées)

Le deuxième argument consiste à dire que le dopage, puisqu’il contrevient à des règles, est une tricherie. Il y a des règles (liste de produits incriminés, fréquence des contrôles, etc.), et dès lors qu’on y contrevient, on rentre dans la tricherie.

Si l’on sera d’accord pour caractériser le fait de ne pas respecter une règle, parler de tricherie revient à tout de suite faire intervenir des jugements moraux. Ces mêmes jugements moraux qui permettent la mise au ban que nous dénoncions plus haut.

Hors jugement moral, concentrons nous d’abord sur l’aspect du respect de la règle. En effet, une interdiction ne peut pas être une règle. On obtient une règle quand on prévoit une sanction pour la constatation de la violation d’une interdiction. Avant ce n’est pas une règle. Illustrons.

Si l’on met un panneau censé limité la vitesse à 50 et qu’il est de notoriété publique que personne ne contrôlera jamais cet endroit, il est fort à parier que les automobilistes ne respecterons pas cette limitation. De même que si il y a des contrôles, mais que la sanction c’est une petite tape sur l’épaule et un « ne recommencez plus, ok Mr ? Pour nous faire plaisir », il est de même à parier que les automobilistes rouleront comme ils veulent. Pour qu’il y ait une règle, il faut contrôler et sévir si besoin est. Pas besoin d’entrer dans des jugements moraux (comme la tricherie).

Autre exemple avec un enfant à qui on interdit de sortir de sa chambre sans avoir fait son lit. Si personne ne contrôle qu’il a bien fait son lit, et si quand il ne le fait pas, il n’y a pas de sanction, on ne saurait considérer cette interdiction comme une règle. La règle sera établie quand on vérifiera et que l’on sanctionnera. Pas besoin de jugements moraux (mauvais fils, fils indigne, etc.). Plusieurs sociétés mettent en lumière la malice de la tortue qui a battu le lièvre à la course en outrepassant les règles, mais sans se faire prendre. Ces sociétés louent l’astuce de la tortue.

Ce qui est valable pour d’autres choses, doit l’être pour le sport et le dopage : Que l’on contrôle (si l’on décide qu’il faille le faire) et que l’on sanctionne les pris quand il y en a.


Petit aparté sur la force de ces règles : La cryothérapie est une technique qui consiste à soumettre le corps à du froid en espérant des résultats bénéfiques (voir http://fr.wikipedia.org/wiki/Cryoth%C3%A9rapie  et http://www.criotec.fr/cryotherapie-medecine-sport.php ) sur le corps. Certains articles parlent de faire gagner trois semaines de récupération au corps en seulement une heure de pratique. D’autres parlent d’une augmentation de testostérone. Pourtant les compléments alimentaires, les autotransfusions permettant d’arriver aux mêmes types d’effets sont considérés comme dopants. Et pas la cryothérapie (encensée par le journal l’équipe qui est le premier à vilipender les sportifs pris pour dopage. Donc les règles sont elles aussi questionnables et on ne saurait s’en satisfaire juste au motif qu’elles sont les règles.

 

3.      Le dopage rompt l’équité entre athlètes

Le troisième argument consiste à dire que le dopage rompt l’équité entre sportifs : Ceux qui se dopent auraient un avantage que ceux qui ne se dopent pas (ou ne veulent pas se doper) n’ont pas. La compétition serait donc faussée.

Evacuons tout de suite la première réponse à cet argument qui consisterait à légaliser le dopage, pour que tout le monde puisse avoir les mêmes chances. Le problème d’équité serait résolu. On me répondra alors que les plus fortunés auront accès à la pointe du dopage, ce que les moins fortunés n’auront pas (je rappelle que c’est déjà le cas en cette période de lutte contre le dopage où l’on parle de dopage à plusieurs vitesses).

Nous pourrions alors répondre, que même sans dopage, il n’y a pas d’équité. Les plus fortunés (je parle ici de cyclisme) se payent des stages en Afrique du Sud pour rouler pendant l’hiver (très rigoureux ces derniers temps) en Europe quand les plus pauvres sont contraints d’espérer une accalmie. Les plus fortunés se payent les meilleurs nutritionnistes et entraineurs pour optimiser leurs performances. Ils se paient même les meilleurs médecins et avocats pour explorer à fond la législation anti-dopage (nous l’avons vu plus haut, la règle peut être floue de temps en temps). Autant d’éléments que le cycliste lambda du peloton n’aura jamais.

Il n’y a pas d’équité. Le dopage ne crée rien. Pas de raison de diatribes moralisantes à l’encontre des sportifs donc.


4.      La santé des athlètes

Le dernier argument consiste à dire que le dopage met la vie des athlètes en danger, et c’est donc en cela qu’il est dangereux.

La première réponse à ce point est que si le dopage met la vie des athlètes en danger, ce sont donc eux les victimes. Pourtant ils sont souvent traités comme des criminels quand ils sont pris. On devrait, si on voulait rester dans cet argument, à la limite s’en prendre aux médecins qui prescrivent des produits dangereux.

La seconde réponse vient du fait que le danger vient de l’obscurité dans laquelle baignent ces acteurs. C’est parce qu’il ne faut pas se faire prendre qu’ils agissent à la va-vite, sans questionner les prescriptions des quelques médecins qui acceptent de jouer avec eux.

N’allons pas jusqu’à plaindre ceux des athlètes qui choisissent de s’adonner au dopage, mais ne les stigmatisons pas, car si danger il y a, il s’agit de leur propre santé. Les pratiquants de sports extrêmes, les fumeurs, les buveurs, les amateurs de McDo le font aussi tous les jours sous le regard bienveillant de la société.

 


En conclusion, si l’on décide de fixer des règles pour interdire le dopage, faisons le (on pourra s’interroger sur la légitimité d’un tel choix). Faisons le, mais point n’est besoin de stigmatiser, d’attaquer la moralité des athlètes.

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