De la nécessaire distanciation entre les faits et la norme...
10 mai 2012
L'ambassadeur américain fait pression auprès du gouvernement camerounais pour qu'il dépénalise l'homosexualité. Celui-ci résiste. Et est soutenu par la majeure partie de la population, énervée de ces ingérences, mais surtout, homophobe. Le raisonnement est le suivant « Ici, nous sommes homophobes. Il faut donc que la loi soit homophobe ». C'est un raisonnement qui est extrêmement fréquent et le présent article entend discuter de ce type de raisonnement.
Commençons par définir les faits comme ce qui est, ce que l'on constate. Par exemple « les Camerounais sont à majorité homophobes ». Définissons ensuite la norme comme ce qui doit être, ce vers quoi on doit tendre, souvent matérialisée par la loi (civile, religieuse, de vie en société, etc.). Ici « la loi est ou n'est pas homophobes ». Le raisonnement dont nous parlions en introduction peut alors se résumer ainsi : On le fait (les faits) donc on doit le faire (la norme).
Nous pensons que ce raisonnement est erroné car Ce n'est pas parce qu'on le fait que l'on doit le faire.
Pour rappel, nous avions commis un article qui se proposait de définir ce qu’est, ou plutôt ce que doit être une norme [Est ce normal ou De la norme... ]. En substance, nous disions que la norme est le cadre légal, normatif qui permet de tendre vers un objectif souhaitable. Cette notion de « souhaitabilité » étant bien sûr subjective à ceux qui établissent la norme. Que cette base soit religieuse (les commandements), civile (la loi), morale (règles morales, de respect, traditions, etc.). Ceux qui établissent la norme le font toujours en pensant que si la norme est respectée, on ira nécessairement vers un « mieux ».
La question est alors de savoir si l’érection de ces normes peut se fonder sur l’observation des faits et comportements existants ou au contraire, sur la définition (même théorique) du bien et sa recherche.
Comme élément de réponse, soulignons, à titre d’exemple, que toutes les sociétés du monde, définissent théoriquement la corruption comme le contraire du bien (parce qu’elle a des impacts néfastes notamment : appauvrissement de la masse au bénéfice de quelques uns, climat délétère, etc.). La norme (les lois) dans quasi tous les pays vise donc à lutter contre la corruption. Y compris au Cameroun. Or que constate t’on ? Que le Cameroun a été pays le plus corrompu en 1999 et en 2000, que toutes les strates de la société, en particulier l’administration, présentent un assez fort taux de personnel corrompu (ne parlons même pas de corruptible). Est-ce à dire que la norme doit être modifiée pour sacraliser la corruption ? Non bien sûr. Car elle ne correspondrait alors à aucun « bien ». De même, si on passe sur le plan religieux, des commandements tendant à atteindre le « bien » existent. Pourtant les comportements des adeptes sont remplis de péchés. Des religions intègrent même le fait que l’homme pêchera de toute façon et réclament la miséricorde divine. Est-ce à dire que les commandements doivent changer pour consacrer les péchés ? Non bien sûr.
De ces exemples, on peut donc conclure que la norme ne saurait se baser sur l’observation de l’existant, des comportements (faits).
On peut même rajouter que les normes arrivent toujours en opposition aux faits. En effet, si les faits observés correspondaient déjà aux visées de la norme, on n’aurait pas besoin d’établir une norme. Ainsi si personne n’était corrompu, on n’aurait nul besoin d’une loi qui punit la corruption. C’est parce que la corruption est constatée que la loi est nécessaire. Si personne ne pêchait, Moïse n’aurait pas eu besoin d’établir des tables de la loi. Au contraire, c’est parce que son peuple vivait « dans le mal » qu’il a eu besoin d’aller chercher ses commandements. Si aucune fille n’était jamais tombée enceinte à cause d’inconsciences, les parents ne se mettraient pas en tête de mettre des règles (parfois inefficaces) pour protéger leurs jeunes et jolies filles. C’est donc parce que des constats sur le contraire de la norme sont posés (faits), que la norme est introduite.
Les arguments homophobes (par exemple) qui consistent donc à dire « on n’aime pas ça, on n’est pas comme ça chez nous, etc. » ne suffisent plus. Si on souhaite bannir l’homosexualité, il convient alors de dire en quoi et pourquoi c’est un mal. Et là c’est une tâche plus ardue [Maki et le ministre homophobe... ]. Il en va de même pour tout.
Si les faits et la norme doivent se rejoindre, ce sont les faits qui doivent être menés vers la norme, et non le contraire. Si on veut combattre la corruption, au lieu de baisser les bras, il convient de chercher les voies et moyens de faire changer les comportements de manière à modifier les faits pour qu’ils tendent vers la norme.
La norme ne doit pas coller aux faits. Ce sont les faits que l'on doit faire tendre vers la norme