2.     Tradition

 

La seconde catégorie de cause à l’homophobie telle que j’ai pu le constater est tout ce qui a trait à la tradition. Les pratiques homosexuelles seraient un mal parce qu’elles sont contraires et même totalement inconnues dans nos traditions. Avant d’examiner les différents éléments couramment avancés, faisons juste une petite observation. Bien que ne vivant pas au Cameroun, j’ai la faiblesse de croire que je suis globalement bien informé de l’actualité politique ou même intellectuelle du pays, par le biais des sites en lignes des quotidiens nationaux (mutations, Le jour, Le messager, Cameroon-tribune), des portails d’actualité (Cameroon-info.net, bonaberi.com) ou de l’écoute en ligne de radios camerounaises (STV, Equinoxe) par cameroonvoice. Il me revient d’innombrables fois d’avoir entendu des « intellectuels » ou des « penseurs » vouer aux gémonies les pratiques homosexuelles au seul motif que ce ne serait pas dans nos traditions. La question que l’on peut se poser est de savoir à quoi sert un intellectuel ou un penseur si son rôle c’est de rappeler ce que faisaient les ancêtres ? La pensée d’un homme doit elle être conditionnée par son appartenance ethnique ? Si je suis Bulu telle pratique serait bonne alors que si je suis Douala, elle deviendrait à éviter ? « Je pense donc je suis » a dit le philosophe, et nous nous retrouvons avec un cortège de personnes qui ne savent dire que « je suis (bulu, bami, toupouri, etc.) donc je pense de telle ou telle manière. Ce n’est pas ça être un intellectuel ou un penseur. Là on agit qu’en tant que perroquet de son peuple.

En effet, toutes les traditions que nos ancêtres ou les ancêtres des autres ont prises étaient basées sur une conception de la réalité qu’ils avaient. Ainsi certains croyaient que les menstrues étaient signe d’impureté, on ostracisait la femme pendant cette période (Sémites) ; d’autres constataient que le clitoris était siège du plaisir féminin, et donc rendait moins contrôlable celles-ci ; on excisait (Afrique de l’ouest), d’autres constataient au fil du temps les vertus de telle ou telle herbe, la pharmacopée traditionnelle se construisait (toutes les peuplades) ; on constatait la trop grande proportions de malformations dans les couples consanguins, on interdisait les relations consanguines (Bantous) ; on estimait que mieux vaut être mort que vivre dans la honte, on instituait la tradition du Hara Kiri (Japon), etc. On pourrait continuer indéfiniment. Certaines de leurs conclusions tiennent toujours parce que l’observation qu’ils ont faite et la conclusion qu’ils ont tirée restent pertinentes avec nos connaissances actuelles (par exemple l’hospitalité de l’étranger) et pourraient à l’heure actuelle être argumentées sans faire référence aux anciens. D’autres de leurs conclusions doivent malheureusement être rejetées à la lumière de nos connaissances actuelles, soit parce que l’observation qu’ils avaient faite est erronée (par exemple les enfants albinos apportent le malheur, ce qui a entraîné pendant longtemps une véritable ségrégation des albinos), soit parce que la conclusion d’une observation juste n’est plus acceptable (excision des femmes par exemple).

L’intellectuel, avant donc de qualifier une pratique de mauvaise, au lieu de dire « ma tradition dit que » devrait l’analyser et voir en quoi réellement elle est mauvaise, pourquoi les ancêtres l’ont jugée bonne ou mauvaise. Et d’ailleurs, ils le font déjà, ce qui rend encore plus inepte le recours aux pratiques des ancêtres pour disqualifier l’homosexualité. Ils le font par exemple quand, alors que bon nombre des traditions camerounaises ou africaines instituent un chef ou un roi doté de pouvoirs que bien des dictatures ne rencontrent pas, avec main mise sur les biens de tous, établissement de castes de notables (par le sang) ou d’esclaves, ils le font disais je quand ils sont les premiers à réclamer la démocratie, à qualifier d’inacceptable la « démocrature » dans laquelle ils trouvent que l’on évolue au Cameroun. Ils le font quand alors que dans bon nombre de nos traditions, placent la femme comme subalterne de l’homme. Pour ces deux exemples, je prendrais la porte parole de l’AFP (Alliance des Forces Progressistes) Alice SADJO qui est effectivement progressiste sur bon nombre de domaines, mais qui retombe dans le traditionnel « c’est contraire à nos traditions » dès lors qu’elle parle de l’homosexualité. Progressive conservatrice ?

Certains me répondront que pour les exemples donnés ci-dessus, ça n’a pas cours dans leur tradition à eux, car ce n’est pas partout la même chose au Cameroun. Ce qui soulève un autre point, un peu comme pour la religion et la laïcité : Dans une société mosaïque comme le Cameroun, où différentes cultures et traditions se côtoient, et parfois même s’opposent, baser les lois sur la tradition ou plutôt dire d’une chose qu’elle est mal juste parce qu’elle transgresse la tradition relèverait de l’impossible. Tant les pratiques culturelles peuvent être différentes.

Mais si il y a presqu’unanimité, comme dans ce cas précis de l’homosexualité me demandera t’on ? Je dirais que l’on se trompe, peut être par ignorance. Il n’y a aucune raison que le Cameroun soit différent des autres pays africains, notamment voisins, quand on pense à l’arbitraire qui a guidé à la création des états actuels. Et bien des études ont montré que des pratiques homosexuelles ont été recensées dans moult cultures africaines, du Nord au Sud, de l’est à l’ouest, en passant par le centre et donc le Cameroun. Petit florilège de pratiques homosexuelles [1].

"Au Cameroun, le « Mevungu » chez les Beti et le « Ko’o » (l’escargot) chez les Bassa étaient des rites qui comprenaient des attouchements entre femmes ayant un caractère hautement homosexuel. D’après ses adeptes, le mevungu était présenté comme la « célébration du clitoris et de la puissance féminine »51. Ce rite exclusivement féminin « comportait des danses qui, parfois auraient mimé le coït et dans lesquelles les initiées ménopausées auraient joué le rôle masculin »

ou encore

" Ainsi, les enfants n’étaient pas souvent considérés comme conscients donc en mesure d’assurer une activité sexuelle productive. Ils étaient tout simplement regardés comme socialement asexués, aucun rôle relatif au genre ne leur étant attribué. Chez les Bafia du Cameroun par exemple, les garçons qui n’avaient pas encore de relations sexuelles avec les filles appartenaient à la première étape socialement reconnue de croissance chez l’individu (les Bafia reconnaissent trois principales étapes de croissance), le terme les désignant est : Kiembe.

C’est à partir de cette première étape que commençait à s’amorcer les relations homosexuelles entre les garçons dans les jeux. En effet, les petites filles étaient très contrôlées et leur virginité jalousement préservée. Elles vaquaient donc ainsi aux occupations domestiques avec le groupe des femmes, tandis que les garçons pouvaient s’amuser ensemble. Cette première étape incluait les individus de six ans jusqu’à quinze ans. Les garçons de cette classe sociale, dormaient ensemble, jouaient ensemble et les plus grands pénétraient parfois analement, les plus jeunes comme le montrent certains auteurs "

Plus généralement on trouvera en [2] et [3], d’autres articles traitant de la présence de pratiques homosexuelles dans des sociétés africaines.

Il est donc indéniable, à moins de rejeter en bloc le travail de sociologues sous prétexte qu’il ne nous revient pas, que des pratiques homosexuelles ont eu lieu dans bien des cultures africaines et camerounaises. Et elles étaient même parfois codifiées. Et ne représentaient donc pas un mal, pouvant entrainer une loi, une loi pouvant toucher des personnes d’autres cultures.

 

Un autre argument qui est souvent sorti, est que la preuve que cela n’existait pas dans nos cultures, c’est qu’il n’y a pas de mot pour désigner cela dans nos langues. Plusieurs choses à répliquer :

En français, « homosexuel » signifie de même sexualité. Et c’est un terme relativement récent et ne serait apparu que dans la seconde moitié du 19ème siècle (1850). Avant donc, on utilisait en français (les homosexuels ne sont pas spontanément apparus en 1850), des termes qui voulaient signifier cela, comme par exemple « un homme avec un homme. La non existence d’un mot n’a jamais voulu dire que le concept auquel il renvoyait n’existe pas. Par exemple comment dit-on démocratie en africain? Signifierait ce qu’aucune culture africaine n’a connu la démocratie ? Comment dit-on "orgasme"? Veut ce dire que les gens ne jouissaient pas? Comment dit-on pédophilie? Veut ce dire qu'aucun homme n'avait violenté un enfant chez les africains?
Comment dit-on "masturbation"? Veut ce dire que c'est un concept importé?
Comment dit-on érection? Veut ce dire que les africains sont impuissants?
comment dit-on polygamie? Veut ce dire qu'il n'y a pas de polygamie?
Il n'y a pas de mot pour ces concepts, mais ils existent, et on peut employer d'autres mots pour les définir. De plus, comme nous l’avons vu plus haut, ces pratiques existaient dans certaines traditions africaines et camerounaises, et étaient même clairement nommées dans des cas. Petit florilège toujours issu de [1]

 

A l’issue de cette présentation, il apparaît que dans certaines langues en Afrique les termes ou expressions relatifs aux rapports sexuels entre les individus du même sexe sont connus. Ils désignent le plus souvent les comportements sexuels avec précision : kufira (kiswahili), shoga (kiswahili), ji’gele ketön ? (langue bafia du Cameroun), eshengi (ovambos), hanisi (kiswahili de Zanzibar), okutunduka vanena (hereros), désigneront la pénétration anale dans le sens réceptif ou alors les individus qui acceptent une telle relation ; tandis que basha, haji ( variante kiswahili de Monbassa) par exemple traduiront la pénétration anale insertive ou les individus qui ont ce rôle dans les relations (homo) sexuelles

Le conseil que l’on devrait donc donner, comme pour ce qui est de la religion, est que si quelqu’un trouve qu’il faille qu’il respecte sa tradition, et qu’il pense que celle-ci proscrit l’homosexualité, tant qu’il n’aura pas identifié en quoi celle-ci serait un mal nécessitant une loi, il pourra toujours essayer de respecter lui même ses traditions, en laissant ceux qui veulent vivre différemment, soit en pensant leur vie, soit simplement en la subissant, la liberté de vivre leur vie. Fut ce un membre de sa tribu. Parce qu’on est homme avant d’être de telle ou telle tribu.

Bibliographie :

Nous devons donc continuer à explorer les autres causes de l’homophobie pour voir si elles justifieraient une loi…

 

 

Ceci est le deuxième article d'une série. Retrouvez les autres articles

- première partie => http://mebene.over-blog.com/article-de-l-homophobie-dans-la-societe-camerounaise-1-47314672.html

- troisième partie => http://mebene.over-blog.com/article-de-l-homophobie-dans-la-societe-camerounaise-3-47315023.html 

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