Laurent avala sa salive. Avec difficulté. Comme ces derniers temps, la boule au ventre revenait. Il se repencha sur son ordinateur. Page 74. Il lui en restait une vingtaine à écrire avant d’envoyer son mémoire de fin d’étude à la relecture de son encadrant. L’angoisse était revenue. Il prit un mouchoir, se leva et essuya la sueur qui commençait à perler à son front. Bolango, son camarade de toujours, assis à côté de lui et qui l’observait depuis le début intervint : « Laurent, ça va aller. Ne stresse pas pour ton mémoire. Ton travail est de qualité. Tu y arriveras, comme toujours ». Laurent secoua la tête et ne dit rien : Bolango ne comprenait pas

Laurent termina la lecture du mail. Il esquissa un sourire. Mémoire validé. La soutenance allait bien se tenir la semaine suivante. Anabelle, sa copine, penchée au-dessus de son épaule finit de lire le mail. « Ta présentation pour la soutenance est prête ? c’est la dernière étape ! ». Laurent ouvrit le PowerPoint qui contenait ce qu’il soutiendrait devant son jury. Non, ce n’était pas terminé encore. Alors qu’il s’apprêtait à répondre à sa chérie, la boule au ventre revint. Subitement. Puissamment. Il s’agrippa à la table. Crise d’angoisse. Anabelle ne l’avait jamais vu dans cet état. Elle le prit dans ses bras, comme pour lui transmettre toute la sérénité qu’elle pouvait. Elle lui murmura dans le creux de l’oreille « Mon Lolo, ne t’inquiète pas. Ta soutenance va bien se passer. Tu es le plus grand bosseur que je connaisse. Je t’aime. Tu vas assurer. » Laurent secoua la tête et ne dit rien : Anabelle ne comprenait pas

Vite, vite ! Mama Micheline était au four et au moulin. Son fils soutenait dans quelques minutes. Elle regarda la table déjà dressée. Les assiettes étaient bien là. Mince ! Il manquait encore des couverts. Comme une abeille qui savait exactement ce qu’elle avait à faire. Les petits gâteaux salés apparurent comme par magie. Tout comme les plantains frits, les pili-pilis, les boulettes de viande et les accras de morue. Agencés dans un ordre parfait. Alors qu’elle s’apprêtait à verser la carafe pleine à ras bord de Bissap, elle aperçut Laurent, prostré, le regard dans le vide. Prise aux tripes, elle se précipita vers lui et l’entoura de ses bras aimants : « Mon fils chéri, ne t’inquiète pas. Maman a tout préparé. Tes professeurs et tes amis vont se régaler après ta soutenance. Il ne faut pas être stressé par ça. De toute façon, nous sommes tous là pour t’honorer. Pas pour manger. » Laurent sourit faiblement à sa mère. Mama Micheline ne comprenait pas

Applaudissements nourris. Félicitations appuyées du jury. Laurent avait tout déchiré. Même les profanes avaient compris l’intérêt de ses travaux. Les agapes au sortir de la soutenance avaient été un régal. A s’en pourlécher les babines. Les membres du jury avaient même esquissé des pas de danse. Laurent souriait. Il était aux anges. Il naviguait dans la foule, remerciant ici, plaisantant là. Un véritable poisson dans l’eau. Soudain, son téléphone sonna. Laurent s’extirpa pour aller discuter. C’était son grand cousin Bernard. Il résidait à l’étranger et l’avait toujours soutenu, chaque fois qu’il avait été sollicité. Avec son argent et surtout avec ses conseils. Après les paroles d’introduction et de félicitations, Bernard demanda : « Et maintenant, tu vas faire quoi ? ».

Les Chroniques du Jeudi: L'angoisse

Vertiges, palpitations, transpiration. Bernard avait tout compris. Il allait faire quoi maintenant ? Voilà la question qui taraudait Laurent depuis des mois. Ce n’était pas la rédaction de son mémoire. Ce n’était pas la rédaction de sa présentation. Ce n’était pas le repas d’après soutenance. C’était ces dizaines de CVs qu’il avait postés en ligne ou déposés à l’accueil de toutes ces sociétés. C’était la grande masse des étudiants passés avant lui dont une infime minorité avaient réussi à s’insérer. Les autres végétaient au quartier, de petits boulots en petits boulots. Pour les plus chanceux. C’était cela qui lui donnait des crises d’angoisse. Cette incertitude sur l’avenir. Cette peur de ne pas arriver. Et cette certitude que c’était mieux avant. Ses parents avaient trouvé une situation avec des diplômes moindres que le sien. Ils avaient pris une maison. Lui continuerait d’habiter chez eux. Comme tous ses camarades.

Tu vas faire quoi maintenant ? « Je vais voter aux prochaines élections. Et prier ». Bernard approuva. « Dans un bon système, les meilleurs, les moyens et parfois même les moins bons s’en sortent. Dans un mauvais système, même les meilleurs ne savent pas s’ils s’en sortiront. ». Après avoir raccroché, Laurent ouvrit le programme du MRC et en relut les aspects sur l’éducation, l’insertion professionnelle et le développement de l’économie. Il allait voter. En octobre 2025 ou avant !

Pour garder l’espoir. Pour la Renaissance du Cameroun….

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