Les Chroniques du Jeudi : Le Pain Sardines ou le Pain de vie?
13 juin 2024« Est-ce que les gens lisent alors les programmes politiques ? ». « Les gens ont faim, et ils ne voteront que pour celui qui vient leur donner à manger ». Voici là un petit florilège de ce que l’on peut entendre. Certains disent à l’opposition, et notamment au MRC d’adopter la tactique dite du « Pain Sardines » qui consiste à donner à manger aux populations afin qu’elles votent pour vous. Que penser de ces discours ? Défaitistes ? Réalistes ? Stratèges ? Stratège, c’est ce que se veut être M. Thierry AMOUGOU, brillant économiste qui est intervenu lors de la récente AG du MRC Europe à Bruxelles. Il y a notamment préconisé cette tactique du Pain Sardines, et le présent article essaiera de montrer en quoi il a eu tort…
Le 01/06, lors de l’AG de la région Europe, M. Thierry AMOUGOU a été invité à faire une conférence. Il l’a divisée en 4 parties
- Quel est l’âge de notre démocratie ? Nous sommes à l’âge du nourrisson, illustrée par le fait que l’opposition en soit à appeler les citoyens à s’inscrire ET à défendre leur vote. Ou par les menaces du Minadt et l’embastillement de militants du MRC.
- D’où venons-nous ? Nous venons d’un système où l’administration coloniale, puis l’administration post coloniale ont été conçues pour lutter contre l’opposition. Il y a eu l’UPC, le maquis au Cameroun, avant et après les indépendances. Et une répression farouche. Le pouvoir se voit comme devant éliminer littéralement les oppositions pour se maintenir.
- Où en sommes-nous ? C’est le pouvoir qui donne le pouvoir, au lieu que ce soit l’élection qui confère le pouvoir. C’est pour cela que l’on assiste à une bagarre de clans qui dans le cadre de la succession ne se posent même pas la question de ce qu’en pense le peuple. Cela s’est vu dans deux épisodes récents : l’affaire Martinez ZOGO et les péripéties récentes autour du football.
- Les 10 commandements à l’opposition : Il préconise, aux partis d’opposition qui veulent conquérir le pouvoir, de tenir compte de ce qui précède et de suivre ses conseils : les 10 commandements. On y retrouve notamment le fait de comprendre la psychologie des électeurs. Il cite à cet effet un de ses collègues universitaires en Belgique qui est allé faire campagne et perdre parce que son adversaire a promis un stade aux populations et fait venir des engins de terrassement. Le temps de la campagne. Il cite ensuite « logiquement » le fait d’adopter la stratégie du « pain Sardine », qui consiste à donner à manger à l’électeur (ce qu’il veut) afin qu’il vote. Ce n’est pas « noble », mais puisque c’est le pouvoir (et non pas l’élection démocratique) qui confère le pouvoir, il faut d’abord arriver au pouvoir. Coûte que coûte. On instaurera la démocratie ensuite. Il cite d’autres éléments, comme la « nécessaire union de l’opposition » sur laquelle nous avons déjà eu l’occasion de disserter…
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Le principal point de désaccord que j’ai avec M. AMOUGOU repose sur ce sujet de Pain Sardines. Il a raison quand il dit qu’il faut comprendre ce que les populations attendent et le leur proposer. Mais il a tort quand il saute à l’erronée conclusion d’acheter les votes. Certes, le collègue universitaire belge qui arrive en RDC et qui parle de justice sociale, d’inflation et de lendemains qui chantent s’est fait battre par celui qui a apporté des engins concrets pour du foot. Certes, même Jésus dans les évangiles (Luc 9. 13-17) a donné à manger (tiens tiens, déjà du pain et du poisson) à une foule. Qui serait on pour ne pas faire pareil ? Et tant pis pour la démocratie. Une fois au pouvoir on arrangera. Oui, sauf qu’il a tort. Il a tort pour plusieurs raisons.
- Si tu suis l’idiot sur son terrain, il te battra avec l’expérience
Indépendamment de son éventuelle efficacité, la technique du Pain Sardine est la technique éprouvée par le régime en place. N’ayant pas de bilan à opposer, n’ayant pas de projet à proposer, ils ne peuvent que proposer d’offrir cela aux électeurs. Cela ou équivalent. Nous en avions montré la dynamique il y a quelques années dans l’article ci-joint. Comme ils le font pour rester au pouvoir (sans se dire qu’une fois au pouvoir ils feront ce qu’il faut ou apporteront la démocratie), il vient donc que c’est un investissement. Ils investissent pour se payer ensuite dans le mandat. Quand on sait que l’on va être remboursé, on peut investir beaucoup. Quitte à taper dans la caisse publique, ou à solliciter des amis qui ont tous intérêt au statu quo, chacun dans son domaine. Résultat : Ils amassent un pactole dédié au « pain sardine » qu’aucun parti d’opposition ne peut espérer avoir. Et ils sont capables de l’obtenir dans toutes les localités, et pas seulement dans l’une d’elles. Rappelons-nous que le mode de gouvernance du régime est de s’appuyer sur des élites administratives (ou économiquement tenues), qui en retour financent les besoins politiques.
Si l’opposition voulait donc jouer sur ce terrain de l’achat des votes, elle serait irrémédiablement battue. Et elle perdrait l’un de ses arguments actuels, comme le prochain point nous le montrera…
- Tous les moyens ne sont pas bons…
En effet, ce que propose M. Amougou tient de la logique du « Tous les moyens sont bons ». Nous l’avons vu, acheter un vote c’est empêcher l’exercice libre du vote. C’est aussi garantir que l’élu se remboursera pendant son mandat sur les deniers publics. Mais nous, nous serions plus honnêtes. Une fois élus, nous implémenterons le programme. Nous ferons en sorte d’éduquer les gens pour qu’ils votent véritablement librement les prochaines fois. Admettons que nous n’y arrivions pas pendant le mandat ? Après tout, nous sommes depuis le début dans l’hypothèse où il n’est pas possible actuellement de leur expliquer pourquoi ce qui compte n’est pas le « Pain Sardines ». Pour la réélection, que ferons-nous alors ? la réponse est simple. Nous prendrons dans les caisses publiques pour acheter la réélection en nous disant que pour le mandat d’après, nous ferons ce qu’il faut. L’objectif ne sera plus ni le changement, ni l’éducation des populations, mais uniquement l’atteinte ou la conservation du pouvoir. C’est ce que le régime actuel fait. Ce sont donc des moyens qui nous éloigneront de l’objectif. Ils ne sont pas bons !
- Il ne faut pas chercher ses clés là où il y a la lumière, mais là où elles sont tombées.
La solution du pain sardines comme on l’a vu ne permettra pas de retrouver les clés perdues. Il s’agit d’un renoncement à adresser les vrais problèmes et à les résoudre : faire comprendre aux populations les causes de leurs problèmes, leur faire comprendre que des solutions alternatives crédibles existent afin qu’ils puissent voter en citoyens libres. Il est vrai que chercher dans l’obscurité est plus difficile. Plus difficile, mais il n’y a que comme ça que l’on retrouve les clés. Comment sort-on de la métaphore ?
Si l’adversaire de l’universitaire congolais a promis un stade de foot, c’est qu’il a su raconter une histoire que les populations pouvaient entendre. Est-ce que cela signifie que c’est la seule histoire que l’on pouvait leur raconter ? est ce que cela signifie que c’est la meilleure histoire que l’on pouvait leur raconter ?
- Les populations d’une zone rurale où le procureur, de concert avec les forces de l’ordre, fait arrêter qui il veut et quand il veut en échange d’argent pour les remises en libertés ne seraient elles pas sensibles à des mesures concrètes pour une meilleure justice ?
- Les populations qui voient leurs femmes, filles, mères et sœurs décéder en couche (4000 par an au Cameroun) ne seraient-elles pas sensibles à des mesures concrètes permettant de réduire drastiquement la mortalité en couche ?
- Les parents de jeunes adultes qui des années après la fin de leurs études vivotent de petits boulots ne seraient-ils pas sensibles à des mesures concrètes visant industrialiser le pays, développer l’agriculture, réduire la corruption et le népotisme ?
- Les parents des accidentés de la route, les propriétaires de véhicules qui subissent les « nids d’éléphants » sur nos axes routiers ne seraient-ils pas sensibles à des mesures concrètes visant à améliorer l’état des routes afin de sauver des vies, fluidifier l’économie et désenclaver des zones entières ?
Dans tous ces cas, le MRC a des solutions. Il est de notre mission, chacun pour sa part, d’aller braver l’obscurité pour retrouver les clés. D’aller entendre les vrais problèmes des Camerounaises et des Camerounais, afin de leur présenter les solutions crédibles pour qu’ils aient envie d’adhérer à l’histoire. Et qu’ils votent en citoyens qui vont au-delà de la faim. Ceux qui ont suivi Jésus sur la montagne ne l’ont pas fait pour le pain et le poisson. Ils l’ont fait pour aller chercher ce qu’ils considéraient être le « pain de vie » ; quelque chose qui améliorerait sensiblement leur vie. C’est ce que le MRC se propose de faire. Alors, viendront naturellement, le pain, la sardine, le riz, les mangues, les arachides, le travail, les revenus et tout ce que nos concitoyens veulent vraiment.
A nous de continuer le boulot pour les convaincre…
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