La session parlementaire s’est ouverte le 11/06 dernier. Aussitôt, des rumeurs ont circulé et se sont faites de plus en plus fortes : L’Assemblée Nationale va voter un certain nombre de lois qui auraient pour objectif principal d’enlever la possibilité à M. KAMTO d’être candidat à la prochaine élection présidentielle. Aujourd’hui, une semaine plus tard, les observateurs semblent considérer qu’elles sont un fait. D’autant plus que Jeune Afrique a commis un article allant dans ce sens. Il n’en fallait pas plus pour que les supporteurs du Régime et les « neutres » crient à la future victoire en disant que le MRC n’aurait pas dû boycotter les élections locales en 2020. A ceux-là, je dis qu’il n’est pas certain qu’ils aient bien réfléchi. C’est ce que montrera la suite de l’article.

 

Que dit la rumeur ? Que deux projets de lois en particulier seront votés :

  • Prorogation des mandats des députés et des conseillers municipaux.
  • Modification du code électoral, avec
    • L’obligation d’être militant depuis au moins trois ans d’un parti politique pour que celui-ci puisse vous investir à l’élection présidentielle
    • La majorité électorale à 18 ans
    • L’augmentation du nombre de députés à l’Assemblée nationale
    • Etc.

Les deux derniers points étant d’après Jeune Afrique, issus des propositions de l’opposition datant d’Aout 2023. Et l’ensemble serait le résultat, toujours d’après Jeune Afrique, d’un conciliabule de « stratèges » piloté par le SGPR.

Les Chroniques du Jeudi : C'est le coeur du bandit qui bat...

Les Rdpcistes et leurs amis « neutres » ont vite fait de s’en féliciter parce qu’au Cameroun, seuls les partis représentés à l’assemblée nationale ou ayant des conseillers municipaux peuvent investir un candidat à l’élection présidentielle. Aujourd’hui, cela signifie qu’un parti dans ce cas peut investir n’importe qui, même un non militant dudit parti. L’obligation d’être militant depuis trois ans est censée empêcher cela. La prorogation du mandat des députés et des conseillers municipaux est quant à elle censée prévenir le MRC de pouvoir lui-même investir un candidat puisqu’il n’a pas obtenu d’élus lors des élections locales de 2020. Leur objectif est donc clairement d’empêcher M. KAMTO d’être candidat. Et dans une moindre mesure M. LIBII qui vient d’être exclu de son parti, bien qu’étant député. Les Rdpcistes s’en félicitent disions-nous, mais ont-ils bien réfléchi ? ont-ils des stratèges valables ? Analysons.

Passons d’abord sur le fait que le Président National du MRC a indiqué depuis décembre 2023 que le MRC comptait en son sein des élus. Passons également sur le fait que les mêmes Rdpcistes (et leurs alliés « neutres ») disaient en début d’année que Kamto ne pourra pas être candidat car n’ayant pas d’élus. Pourquoi voudraient-ils encore durcir les conditions ? Ne sont-ils pas sûrs de leurs précédentes croyances ? Passons enfin sur la question de savoir comment ils pourront savoir que tel ou tel n’a pas adhéré il y a trois ans dans tel ou tel parti. Passons sur tout cela et considérons que ce ne sont pas que des rumeurs et qu’ils voteront ces lois. Posons-nous quelques questions et essayons d’y répondre…

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  1. Qui sera le candidat du RDPC ?

Les lois qu’ils voteront vaudront également pour le RDPC. Elles ne toucheront pas que l’opposition. Quand ces lois seront votées, la conséquence pour le RDPC sera double.

  • Leur candidat pour 2025 (ou avant) fait déjà partie du RDPC
  • Tous ceux qui sont encore dans le RDPC (hormis le candidat ci-dessus) ne pourront pas être candidats, ni en 2025, ni a minima dans les trois prochaines années.

En d’autres termes, Kamto pourrait être empêché en 2025, mais après les nouvelles élections locales (2025 ? 2026 ?), il pourra bien être candidat investi par le MRC en cas d’élection présidentielle juste après. Une hypothèse d’une nouvelle élection après 2025 (vacances présidentielles par exemple) est-elle farfelue ? Par contre, ceux qui sont au RDPC ne pourront pas être candidats a minima jusqu’en 2027 voire 2028. Tous sauf un. Lequel ?

Deux épisodes récents nous ont montré qu’une guerre des clans pour la succession battait son plein. Il s’agit de l’assassinat de Martinez Zogo l’an dernier, et la nomination du staff des Lions Indomptables de football. Tous les observateurs ont pu voir qui étaient les tenants de quel camp, et quels sentiments ces différents camps se portaient les uns les autres. Qui peut croire que les membres d’un de ces camps accepteraient de se mettre derrière un des candidats d’un autre camp ? Les batailles récentes indiquent que cela ne peut pas être le cas. Et quand ce n’est pas le cas, on l’a vu ailleurs après les départs de vieux présidents (Gabon, Burkina Faso, Côte d’Ivoire), chacun de ceux qui se voient en dauphins part essayer d’être candidat à l’extérieur du parti quand il ne peut pas être celui du parti.

La conclusion est donc que, comme jusqu’à présent, la seule possibilité pour que le RDPC présente un candidat en 2025 tout en restant dans sa forme actuelle (avec ses membres actuels) est que ce soit Paul Biya leur candidat. Toute autre hypothèse déclencherait des velléités de départ d’une partie de leur parti tel qu’il est actuellement.

  1. Qui sera bloqué par cette loi ?

Selon ce qui précède, nous avons deux cas de figure.

La première est celle d’une élection où M. Biya ne peut plus être candidat. Le RDPC devra se trouver un nouveau champion. Qui sera ce ? Chacun espère. Mais peuvent-ils être certains que ce sera eux ? S’il y en a qui en sont certains, c’est que les autres savent qu’il leur faudra partir. Ils partiront où avec ces lois ? C’est eux qui seront bloqués. A minima pour 7 ans. A mon avis, ces derniers (si ce n’est tous, si personne n’est certain d’être le choix du parti) seraient débiles d’accepter qu’une telle loi passe. Sans compter les vendettas que le camp vainqueur ne manquerait pas de leur appliquer. Ils seraient débiles, et leurs supporters avec. Ceux-là même dont nous disions qu’ils applaudissent en ce moment.

La seconde est que M. Biya soit candidat. Statu quo. Ils pourront rester dans leur parti. Sauf ce statu quo devrait ne pas durer. Et à mesure que le temps passe, on se rapproche de la fin dudit statu quo. Et là on est ramené au paragraphe précédent. A la différence près qu’à ce moment-là, M. Kamto pourra déjà être candidat. On serait alors dans la situation où des rdpcistes sont éliminés de la course en laissant un des leurs, illégitime selon eux, face au MRC. Laisseront-ils cela arriver ? S’ils laissent cela arriver, qui supporteront ils le moment venu ? le MRC qui porte le changement ou leurs anciens camarades honnis ? Qui sera le perdant ? les RDPCISTES !

Notez en outre que l’identité des « stratèges » est dévoilée par Jeune Afrique. Donc le camp qui pense gagner est connu. Et leurs adversaires voient cela. La question ou le challenge deviendra donc « qui pilote les députés » ? Ce sera peut-être l’occasion de la troisième bataille que nous examinerons avec attention.

  1. Pourquoi vouloir bloquer le MRC ?

Nous l’avons vu en 2018, et M. AMOUGOU nous l’a rappelé récemment, ils pensent que le pouvoir ne vient pas des élections, mais que le pouvoir vient du pouvoir. Ils ont ELECAM. Ils ont « la force doit revenir à la loi ». Ils ont tout cela. Le MRC a déjà indiqué qu’il était vigilant à toute tentative de coup d’état électoral, eu égard aux manquements nombreux d’Elecam. Il leur suffit donc de faire comme d’habitude et de se donner les résultats qu’ils veulent. Pourquoi avoir besoin de faire passer cette loi ? Là encore, il n’y a que deux explications :

  • Soit la cible n’est pas l’opposition, mais leurs adversaires internes comme nous venons de le voir. La question demeure, les autres se laisseront-ils faire ?
  • Soit malgré leurs armes, ils redoutent qu’un mouvement massif les emporte. Que le résultat des urnes soit suffisamment irrésistible pour imposer l’accession au pouvoir de M. Kamto. Ils valideraient ainsi la stratégie du MRC du IVSD (s’inscrire, voter, défendre et surveiller son vote). Mais dans ce cas, pour quelle raison ce mouvement irrépressible ne s’exprimerait-il pas, même hors de leur processus vicié ? On l’a vu au Burkina Faso avec coup de balai. Là encore, le calcul ne semble pas si pertinent
  1. Que peut donc faire habilement le MRC ?

Face à tout ceci, que peut faire le MRC, si son candidat est empêché pour 2025 ? Si M. Biya est candidat, une stratégie possible (je ne fais pas partie des stratèges du MRC) pourrait être de

  • Communiquer sur la reconnaissance par le régime de son seul et unique adversaire et continuer de promouvoir le changement
  • Encourager les inscriptions massives sur les listes électorales. S’il y a prorogation, la révision des listes sera de nouveau ouverte en 2025. L’engouement de 2024 pourra être prolongé pour atteindre une masse qui ira au-delà du seuil critique. Pour rappel, voici les votants officiels des dernières élections. D’après eux, Biya a eu moins de voix en 2018 qu’en 2011, 2004 et 1997. Que pourra t’il faire s’il y a 10 millions d’inscrits ?
  • Comme à l’occasion d’une cohabitation, transformer les élections locales en première phase du changement et gagner le plus de sièges possibles. La principale campagne deviendrait alors celle des élections locales
  • Attendre la nouvelle élection présidentielle pour cueillir le fruit mûr avec toute une panoplie d’adversaires qui se seront éliminés eux-mêmes en votant ces lois à l’assemblée…

Si ce n’est pas M. Biya le candidat, alors, il y a fort à parier que les Rdpcistes éconduits ne resteraient pas les bras croisés. Nul ne peut savoir ce qui se passerait alors. Y compris ceux qui ont « pensé » ces lois.

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Lecteurs, Lectrices, comme on dit au quartier, « fait quoi fait quoi, ça sera au sol ». S’ils prorogent, il y a des voies et moyens comme nous venons de le voir. Ils auront également légitimé de quoi et de qui ils ont peur. Et malgré eux, les inscriptions sur les listes électorales pourront reprendre pour amplifier le raz de marée. S’ils ne prorogent pas, le MRC aura ses élus en février, et on pourra se donner rendez-vous en octobre 2025. Ou avant. C’est le cœur (blessé) du bandit qui bat

 

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