La perspective d’une rencontre avec les ressortissants d’Endengue, mon village dans le Sud du Cameroun, m’a donné l’occasion de plonger dans la généalogie du village. Et par extension, de faire un peu d’ethnologie sur les Boulou. Le passé n’a d’importance que dans la mesure où il peut nous permettre de bien appréhender le présent.  

Le présent, à commencer par le présent article, c’est un projet d’arbre généalogique d’Endengue qui nous permettra de comprendre certains aspects de la culture Boulou, de discuter de l’évolution des traditions et d’éclairer certains aspects contemporains. En particulier les débats stupides sur le tribalisme. C’est donc pour les ressortissants d’Endengue et pour tous les curieux. Venez !

 

  • I. Les gens d’Endengue sont des Ndong, qui sont eux-mêmes des Boulou qui sont eux-mêmes des Béti…
  1. Des Beti aux Boulou

Qui a déjà vu les poupées russes comprend qu’un concept peut s’emboiter dans un concept plus grand. Il peut également en emboiter un autre. Il en va de même ici. Les villages Boulous sont pour la plupart créés par un individu qui s’y installe avec sa famille. Un village c’est donc une famille. Une grande famille, qui comprend lui-même des petites familles. Mais le village appartient lui-même à un clan. Et le clan appartient à une tribu. La tribu appartenant à un groupe ethnique.

Incursions dans l'ethnologie des Bulu à travers la généalogie du village Endengue...

Partons du plus grand concept qui est le groupe ethnique. On parlera des Beti signifiant les Seigneurs (Nti, Be Nti). Certains les appellent également Fang (signifiant Véritable, Mfang Mot étant un vrai homme, valable), bien qu’il y ait également une tribu Fang. Les déformations des colons ont également donné la nomenclature Pahouin. Pour la suite, considérons qu’il s’agit du même groupe, et appelons le Béti. Ils seraient les descendants de Nnanga (l’Albinos) d’où leur appelation de Beti be Nnanga.

Le consensus scientifique semble être qu’à un moment, les Beti vivaient vers le plateau de l’Adamaoua au Cameroun. Des guerriers venus du Nord, menés par Ousmane Dan Fodio, vinrent les en chasser et ils durent traverser la Sanaga.

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Les traditions orales et probablement mythiques disent qu’ils traversèrent sur le dos d’un serpent, Ngan-medza. Jean-Louis BEH MENGUE, s’appuyant sur le livre référence « Dulu bon b'Afrikara » (écrit en boulou)  de Ondoua Engutu (que je n’ai pas encore lu) corrobore cette oralité dans un travail que nous avons mis en ligne ici. Il cite notamment son père MENGUE MENGUE

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Après la traversée mouvementée, les survivants se séparèrent selon leur ascendance (les enfants de NNANGA) et allèrent occuper les terres au sud du Nyong. Ainsi naquirent les tribus. A noter que Boulou, la mère des Boulou était la seule femme !

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Les différentes tribus Beti

Les différentes tribus Beti

Au-delà de la mythologie, quelques éléments linguistiques accréditant ce déplacement depuis l’Adamaoua et la traversée de la Sanaga : la présence de mots hérités d’idiomes de l’Adamaoua dans les langues Beti et certains noms qui sont restés

  • Il n’y a pas de lion dans la forêt, où vivent les Boulou
    • En Bulu, lion se dit : Ngbwemgbwem
    • En Vube, tribu du plateau de l’Adamaoua, lion se dit: Kpwemkpwem
  • Sanaga viendrait de Osoe Nnanga (la rivière blanche, ou la rivière de … NNANGA…)
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  2. De la tribu au village en passant par le clan.

Les tribus sont donc des subdivisions du groupe ethnique Beti. Au fil du temps et des déplacements, elles ont-elles-mêmes donné lieu à des subdivisions, les clans. Les clans sont, aujourd’hui chez les Beti, et les Boulou en particulier, la plus haute garantie de lien familial entre les individus. On dit que les Boulou sont les descendants de Boulou Beti, mais on sait que les Ndong ont assurément le même ancêtre. Chez les Boulou, il y a un certain nombre de clans. BEH MENGUE en dénombre 32.

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Les clans prennent le nom des lieux dans lesquels ils s’installent, de faits d’arme ou tout simplement du nom de leur ancêtre. Vous noterez le « Esa » qui revient dans bon nombre de clans et qui signifient « ceux de » ou « la maison de ». Ceux d’Endengue sont donc des Ndong. Les Ndong ont un ancêtre commun : MBO NGUEDE. A l’intérieur du clan Ndong, il y a donc des familles, qui en s’installant de ci-delà ont créé des villages.

L’ensemble des ancêtres qui séparent un individu Ndong de MBO NGUEDE est appelé le lignage, Endan en langue Boulou. Les enfants, et notamment les garçons se devaient de la réciter. Ils connaissaient ainsi parfaitement leur ascendance. Et ce, pour deux raisons.

  • La première est que la forêt étant relativement sauvage, les groupes ne pouvaient pas s’installer trop nombreux en un même endroit. De plus, en cas de bisbilles, vus l’exiguité et le fait qu’on vivait très près, les fils « têtus » laissaient leurs pères et partaient s’installer ailleurs. Malgré les distances qui se créaient, il fallait maintenir un lien avec les autres membres du clan. L’Endan permettait de garantir qu’on sache reconnaître un cousin qu’on n’avait jamais rencontré !
  • La seconde est que les Boulou sont exogames, c’est-à-dire qu’ils n’épousent pas des gens du même clan, et en particulier du même lignage. Rencontrer une inconnue et vérifier son Endan permettait donc de s’assurer que l’on avait aucun lien.

Cette exogamie que l’on retrouve dans d’autres contrées est de mon point de vue basée sur la constatation de plus nombreux problèmes de maladies génétiques en cas de mariage endogames. Du fait notamment de la possibilité pour les gènes récessifs de s’exprimer. L’explication est que chacun d’entre nous a 23 chromosomes et donc 46 gamètes (2 gamètes par chromosome). Les gamètes portent les gènes qui peuvent être soit dominant, soit récessifs. Si vous avez deux gamètes portant un gène récessif, alors il va s’exprimer (et s’il porte une maladie, elle avec !). Traditionnellement, on parlait de malédiction !

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Charles II d’Espagne, dit l’ensorcelé, en est une illustration. Il avait toutes les tares physiques et mentales. Et tous ses ancêtres étaient issus d’un seul et unique couple !

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  3. Quelques conséquences notables de l’Endan

Notons quelques conséquences de cette philosophie Boulou (Endan, Exogamie, etc.).

  • Les Boulou sont par structure un peuple ouvert sur les autres : Pour prospérer, il faut s’allier à des étrangers par le mariage. Pour les adeptes des théories du « sang pur », il n’y a pas d’application possible chez un tel peuple avec un sang complètement mêlé avec d’autres. La noblesse des Boulou (Nti, Mfang) n’est donc pas issue du sang, mais de valeurs qu’on représente par ses actions.
    • Un homme non intègre, non droit, non juste ou corrompu ne devrait donc pas pouvoir être appelé Beti (et donc Boulou).
    • Le tribalisme ne fait aucun sens (ou ne devrait faire aucun sens) pour un Boulou, vu qu’il est le résultat d’ouverture sur d’autres tribus et cultures. Mais un tribaliste n’est pas un homme juste ni digne. Par ce qui précède, il ne peut se faire appeler Beti. CQFD !
  • Je suis d’Endengue, donc Ndong, donc Boulou, donc Beti. Pourquoi s’arrêter là ? Je devrais ajouter, donc Camerounais, donc Humain. Les gens d’Endengue sont mes frères, les Humains sont mes frères. On devrait tous se le dire !
  • Les Boulou sont issus d’une femme. Telle est leur mythologie. Un Boulou ne saurait donc être pour la discrimination, quelle qu’elle soit, des femmes !

Revenons à nos moutons…

 

 

  • II. Endengue

Foumane Minla’a était un Ndong qui vivait dans les dernières décennies du 19ème siècle vers Ebolowa. Voici son Endan, d’après BEH MENGUE.

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Fouman Minla’a avait des enfants, dont Minla’a Mi Foumane (vous l’avez compris, chez les Boulou, l’enfant a son nom + le nom du père. Dans le cas d’un mariage polygamique, on accolait parfois le nom de la mère en lieu et place du nom du père). Minla’a Mi Foumane état un enfant terrible. Son père décida de le faire arrêter. Il l’apprit et s’enfuit avec femmes, enfants et quelques-uns de ses frères. Dont Mengue Me Fouman. Ils cheminèrent pendant des années, changeant de site pour atterrir sur le lieu actuel d’Endengue peu après 1924 quand Djoum fut créé et la ville allemande d’Akoafem déplacée. Ils avaient fait plus de 150 Kilomètres à travers la forêt.

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Voici l’ébauche d’arbre généalogique d’Endengue

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Il devra être complété afin que chacun des ressortissants d’Endengue aujourd’hui vivant, ou à naître soit en mesure de connaître son Endan. Voici déjà le mien…

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