Bientôt 37 ans: les Camerounais sont ils des lâches?
18 juil. 2019J’ai pensé à cet article quand à l’occasion des 25 ans de mariage de Chantal et Paul Biya, j’ai vu les réactions moqueuses (pour être poli) des ressortissants d’autres pays africains. Ils reprochaient en gros aux Camerounais de toujours vouloir s’immiscer dans les affaires des autres alors qu’ils étaient eux-mêmes incapables de « chasser leur vieux dictateurs ».
Alors, les Camerounais le sont-ils ? Sommes-nous lâches ? En particulier par rapport à d’autres peuples africains ? La suite de l’article s’efforcera de répondre à la question.
Le régime a ses supporteurs. Bien évidemment pour eux, il n’y a rien à dire. Ils sont bons, ils sont en démocratie, et les opposants sont des jaloux. Mais ils sont forcément minoritaires. Parce que les résultats économiques ne sont pas là, la démocratie n’est pas là, les perspectives ne sont pas là. Par contre les scandales sont bien là. Nos amis Africains le voient bien. Ils savent donc que la masse des Camerounais ne fait pas partie des supporteurs du régime. Et pourquoi cette masse ne fait-elle rien ?
Si l’on peut traiter quelqu’un de lâche, c’est qu’en comparaison il y a des non lâches, des courageux. Dans le cas d’espèce, si les Camerounais sont lâches parce qu’ils n’arrivent pas à se débarrasser de leur « vieux dictateur », c’est que d’autres peuples ont courageusement réussi à le faire. Pour savoir si d’autres peuples ont été « moins lâches » que les Camerounais il faut donc commencer par voir quels sont les pays qui ont subi un changement de dirigeant. Puis dans ces changements de dirigeants, lesquels sont dus à la force du peuple qui prend son destin en main.
Dans la décennie 2010 et sur 54 pays en Afrique, seuls 16 n’ont pas connu d’alternance. Ils ne sont donc pas concernés par la théorie « du peuple courageux ». Cela signifie-t-il que le peuple a triomphé dans les 38 autres ? Pas forcément. Regardons le graphique suivant.
On note donc que nous avons deux putschs militaires (Côte d’ivoire et Lybie). La Côte d’ivoire ne peut pas rentrer dans la catégorie Elections car s’il n’eut été un rapport de forces armé, Gbagbo serait resté président. Je le dis tranquillement car je pense que c’est Ouattara qui a effectivement gagné ces élections. Nous avons également un cas de vacances du pouvoir (Aux Seychelles où le président a démissionné après une défaite aux législatives). Nous avons enfin 28 alternances suite à des élections et 7 suites à des pressions populaires. Nous reviendrons sur cette dernière catégorie (assimilable au reproche fait aux Camerounais), mais jetons un coup d’œil sur les élections pour voir si elles ont été influencées par le courage des peuples concernés.
Le courage populaire n’est utile que face à des régimes non démocratiques. Dans une démocratie déjà présente, les alternances sont normales et parfois même, systématiques. Si nous prenons le classement de l’indice de démocratie et que nous excluons de l’analyse tous les pays ayant un indice > 4, il nous reste 9 pays qui ont eu une alternance par les élections dans la dernière décennie.
A noter que le classement classe les pays de 4 à 5.99 comme des régimes hybrides (en dessous ce sont des régimes autoritaires), que le Nigéria est le dernier pays > 4 (et on peut témoigner que les alternances qui y ont lieu sont un héritage démocratique d’une histoire certes récente). Notons également que Sao Tomé et la Somalie ne sont pas référencés dans le classement selon l’indice de démocratie mais que l’analyse des élections passées témoigne d’une maturité démocratique. Analysons donc les 9 régimes autoritaires qui ont eu une alternance par les urnes.
- Le Mozambique, l’Angola et l’Ethiopie (ici, 100% des députés sont du parti au pouvoir) ont eu des candidats issus du parti au pouvoir depuis 30 ans. Il s’agit ici de jeux d’appareils internes
- Le Niger, la Guinée, la GuinéeBissau et la république Centrafricaine ont vu des élections se tenir après une junte militaire (et donc un coup d’Etat).
- Les Comores ne sont en fait pas une alternance, car la présidence est tournante entre différentes îles. Le gagnant ayant déjà été président 2 fois, et donc la force au pouvoir sur son île et la RDC avec la parodie d’élection récemment vécue où le sortant ne pouvant se représenter a choisi son successeur en conservant la majorité chez les parlementaires
Sur les 9, aucune alternance (quand on peut parler d’alternance) n’a donc été le fait d’un peuple courageux. Analysons maintenant les 7 changements du fait de pressions populaires.
Les pays concernés sont l’Algérie, le Soudan, le Burkina Faso, l’Egypte, la Gambie, la Tunisie et le Zimbabwe. Nous postulons d’emblée que tous ces changements n’ont pu intervenir que parce que l’armée l’a bien voulu, et non (seulement ou principalement) du fait du courage du peuple.
Nous avons déjà dit (et d’autres avec) comment le cas du Zimbabwe était en fait un putsch militaire. La suite a montré que la répression n’avait pas totalement disparu. En Algérie, l’armée a laissé les manifestations se dérouler tous les vendredi depuis le 22 Février, mais la répression a tendance à s’accentuer. Certes Bouteflika, mais il a été remplacé de l’intérieur du système. Et son remplaçant est encore en poste au-delà de tout dispositif constitutionnel. En Gambie, Jameh a accepté de partir du fait des pressions internationales et du refus de l’armée de le soutenir. Idem au Burkina Faso où le peuple est sorti pour dire non et où les forces de l’ordre et l’armée n’ont pas empêché ces manifestations. On sait quel rôle elles ont joué pour convaincre Compaoré de partir. Isaac Zida qui l’a remplacé a écrit ses mémoires où il dit comment il a refusé que l’on tire sur le peuple. En Tunisie et en Egypte, l’armée a également refusé de tirer sur les manifestants. En Tunisie où le chef d’Etat-major a refusé d’obéir à Ben Ali. Certes la résistance a duré un moment, bravant de nombreux périls, mais la bascule n’a été possible qu’avec l’armée (qui est restée aux manettes post transition). Le cas d’ l’Egypte est encore plus flagrant. Certes le peuple a là encore bravé de terribles répressions, mais c’est l’armée qui a décidé de l’alternance. Et deux ans plus tard, elle l’a formellement récupéré le pouvoir. Et en 2019, la situation des libertés est pire qu’elle n’a jamais été. Au Soudan enfin, même processus. Après le départ orchestré de Béchir, l’armée est aux commandes pour un temps incertain. Et les répressions ont repris.
Dans tous ces pays, des peuples courageux ont été à l’œuvre. Mais n’ont pu prospérer (quand ils ont in fine prospéré, et ici je ne vois que la Gambie, la Tunisie et le Burkina Faso) que grâce à l’armée. Cela n’enlève rien à leur courage. Comme à celui du peuple Camerounais…
Il s’agit d’un peuple qui a résisté militairement aux colons, au premier régime (avec les maquisards). Un peuple alors marqué au fer rouge, à travers ce que d’aucuns ont appelé génocide. Et même dans des zones moins rebelles, les traces demeurent. Les gens se sont mis à utiliser des pots de chambre dans les villages car sortir la nuit signifiait aux militaires tapis dans l’ombre que vous alliez rejoindre le maquis.
Un peuple qui a connu « les années de braise » dans les 90s. Un peuple qui a vu nombre de ses jeunes mourir en 2008 sous les balles. Un peuple qui pour partie a décidé de se réinvestir dans la marche de son destin, y compris en allant marcher. Le régime le sait bien, il ne faut pas laisser cela prospérer. On a ainsi vu des menaces de supporters du régime dire (sans se rendre compte du caractère contradictoire) « allez manifester vous verrez » ou encore « ils veulent envoyer les enfants d’autrui à la mort » (mais quelle mort ? pourquoi une manifestation devrait entraîner la mort ?). Voilà pourquoi depuis fin janvier, de nombreux manifestants pacifiques ont été arrêtés, séquestrés pendant des mois sans jugement. Et pour certains dont la relaxe sans aucun jugement vient confirmer le caractère arbitraire de ces démarches. Heureusement, ceux qui sont sortis semblent plus motivés que jamais.
Les Camerounais sont aussi courageux que quiconque. Même Longue Longue. Mais ils doivent faire face à un système répressif. Et cela ne pourra changer que si la police et l’armée décident de les laisser faire. Chimère ? Dans d’autres pays, cela s’est produit. Par une alchimie entre pressions et préservations d’intérêts. C’est pourquoi stratégiquement, ceux qui font du lobbying à l’extérieur sont dans le vrai, s’il s’agit de cette cause à atteindre. Ce qui peut faire réfléchir un chef militaire, c’est de savoir si dans la situation d’après il risque de perdre ce qu’il a.
Naïvement, en tant qu’observateur, on peut se demander si la récente interdiction d’entrée sur le territoire américain d’un militaire camerounais n’est pas un signal envoyé à d’autres militaires, surtout quand on lit les conditions d’application possibles de telles sanctions…
Affaire à suivre donc…