Quand on a assisté à un accouchement, a fortiori sans péridurale, on se demande comment après cela la même femme peut encore enfanter. Il parait que la mémoire efface les souvenirs douloureux pour ne garder que le bonheur apporté du bébé. Avoir un passeport camerounais en cours de validité est-il un bonheur suffisant ? Il faut le croire, à en croire le périple que ça représente de l’obtenir depuis l’ambassade du Cameroun en France. L’article est long, mais l’attente a été longue également…

J'ai voulu renouveler mon passeport ndolè: Périple en terre camerounaise (de France)...

La dernière fois que j’ai été à l’ambassade pour faire des papiers datait d’un an, pour ma fille. Et la fois d’avant était il y a 5 ans pour mon propre passeport. J’avais en mémoire un magma inextricable mais sans plus de détail (l’accouchement ayant eu lieu). J’avais surtout retenu qu’il fallait y aller deux fois : une fois pour voir et maîtriser l’environnement, une autre fois pour déposer en bonne et due forme. Mon passeport expirant en Avril, il fallait y retourner. Comme je suis un malin, je me suis dit que j’irai pendant les 3 jours après Noël. Ce sont les fêtes il n’y aurait personne. Je n’ai pas pu Mercredi, et j’y suis arrivé jeudi vers 11h…

 

A priori je ne suis pas le seul malin. Le hall était bondé. Je monte à l’endroit où il y a les guichets. Il y en a 4, avec de gauche à droite « passeport », « Visas », « Etat civil » et « Caisse ». Seuls les guichets « Etat civil » et « Visas » ont un afficheur/ compteur du numéro de ticket. Je sais que je ne suis pas là pour un visa, je note donc que nous en sommes au 34 pour l’état civil. Des gens sont agglutinés devant le guichet des passeports. Je m’aligne dès que je comprends qu’il s’agit d’une queue. La go devant moi me dit qu’elle est d’abord passée par l’état civil et qu’elle a eu le formulaire en bas, dans le hall d’accueil. C’est le début des différentes que je vais retranscrire dans la suite. On comprendra plus tard pourquoi.

  1. Obtenir le formulaire et un ticket pour l’Etat civil.

Je redescends donc dans le hall. Une queue vers un box marqué « visas » d’un côté et « accueil » de l’autre, et d’autres queues vers le fond vers ce qui semble les photomatons et autres appareils à photocopie. Après quelques minutes de queue, j’aperçois une table bien cachée par tout ce monde, derrière laquelle un monsieur est assis. De nombreux formulaires sur la table. Je m’y dirige. C’est bien là. Il me donne le numéro 100 pour le guichet état civil et le formulaire. A l’état civil j’aurais besoin de faire certifier une copie d’acte de naissance et ma CNI si je l’ai. Je remonte. A l’état civil on en est au numéro 37. 3 numéros en plus de 10 mn. J’hésite à rentrer. Mais le monsieur aux formulaires a signalé que c’était le dernier jour, et que tous ceux qui ont un ticket seront reçus. J’ai un ticket.

  1. Déposer son dossier à l’Etat civil

J’hésite toujours. Pour faire passer le temps et éviter les queues vers la photocopieuse, je sors à la recherche d’un bureau de poste pour les copies de l’acte, la CNI et du passeport. Après près de 40 mn de marche, je reviens. Numéro 60. J’hésite. J’ai apporté un roman. Je me mets près des sièges et dès que quelqu’un se lève, je suis assis. Les numéros avancent très lentement. Malgré le compteur, il y a toujours 5 ou 6 personnes collées au guichet. Il commence à y avoir une queue importante vers la caisse. Il est plus de 12 :30. Impossible maintenant de sortir sous peine de ne pas pouvoir rentrer. Le compteur fait plus de 10 mn sur le numéro 83. Mon roman est terminé. Au numéro 96, je me lève et m’approche du guichet. Mon tour. Je lui donne mon acte de naissance et une copie à faire certifier. Elle me demande si j’ai une CNI, me la demande, ainsi qu’une copie. Pourquoi je dois la donner et pas les autres ? Elle me dit que la prochaine étape c’est la queue pour déposer le reste du dossier au guichet « passeport ». Derrière moi, un monsieur se présente en disant qu’il est le numéro 101, mais qu’il a perdu son ticket. « Il faut un ticket monsieur ». Bon courage.

  1. Déposer son dossier au guichet passeport

Nouvelle queue. Devant moi, deux gars sympa. Un qui veut un laissez passez et qui a tous les A1 de l’ambassade (avait fermé, exige maintenant les procédures express pour les visas et passeport même si toi tu ne veux pas, etc) et un qui attend l’ouverture du guichet visa et qui a l’air néophyte ici. A côté de moi, un monsieur sur son smartphone. Il est sur whatsapp dans un groupe qui s’appelle « Ambazonians in France ». Il y a été tout le temps qu’on a été côte à côte (plus de 15 mn). Mon tour. Elle prend mon dossier. Innovation : un post it où on laisse un mail et un numéro de téléphone. « Allez attendre, on va vous appeler ». J’ai compris de gens avant moi qui avaient posé la question que l’on va m’appeler pour prendre mes empreintes. Mais ce n’est pas évident à savoir.

  1. Les empreintes digitales

L’attente n’a pas été longue pour moi. Ce ne fut pas le cas pour d’autres, une notamment, qui alors que j’en étais à la dernière étape (et la majorité de ceux qui restaient également) n’avait toujours pas été appelée pour cette étape. Avec un groupe de 10 autres, nous avons été appelés pour le relevé de nos empreintes et vérifier que le nom sur le dossier (rempli par l’administration à partir des formulaires fournis) était correctement écrit. Note pour les passeports d’enfants : ils n’ont pas de relevé d’empreinte, et ne peuvent donc pas vérifier la bonne orthographe. Ils n’ont accès à leur dossier qu’à l’étape d’après.

  1. Récupérer le dossier passeport et aller à la caisse

Commence une nouvelle attente. Dire guichet passeport est un abus de langage. Il y a en fait 3 « guichets » : la porte par laquelle on entre pour les empreintes, le guichet principal et un guichet secondaire. Je repars m’asseoir dans la salle mais je vois que certains sont appelés depuis le guichet secondaire. Je crois entendre mon nom et j’y vais. Quand j’arrive, je vois un gars prendre le dossier que je pensais mien d’un air assuré. Ça ne devait pas être le mien. Je reste collé à ce second guichet. C’est là que ça va se passer. Régulièrement, des gens viennent demander ce qui se passe, quelle est la suite ? Il est plus de 15h. Ceux de l’après-midi arrivent pour le retrait de leur passeport dont le dossier a été déposé il y a trois mois en moyenne. J’entends une petite voix en provenance du premier guichet dire « attendez, on finit d’abord avec ceux du matin ». On finira avec nous quand ? On ne sait pas. A ce stade il n’y a plus de queue. Entre ceux qui viennent pour récupérer leur passeport, ceux qui doivent encore déposer leur dossier (après l’état civil), ceux qui attendent les empreintes, ceux qui attendent leur dossier pour aller payer et ceux qui ont fini de payer, il règne une belle cohue. J’entends mon nom en provenance du premier guichet. Heureusement que je m’étais rapproché. Je me faufile, récupère mon dossier et file dans la queue de la caisse. Là ça avance bien. Par contre, je ne sais pas combien exactement je dois payer. Dans la liste des pièces à fournir (au dos du formulaire), c’est écrit 125 euros. Sur le formulaire, il y a un espace pour un timbre à 5 euros. Du coup ces 5 euros sont-ils ou pas compris dans les 125 euros ? La dame m’a remis mon dossier avec uniquement une copie de l’acte de naissance à timbrer. J’en conclus qu’elles n’ont plus jugé utile d’utiliser la photocopie de la CNI. Ce timbrage de copie coûte combien ? je pars sur 5 euros. Il faut donc 135 euros. Et là je n’ai que 134,5 euros. Un bon samaritain me passe 50 centimes. C’est la bonne somme. Pendant qu’elle édite mon reçu et timbre mes documents, j’ai le temps de voir que la caissière coche sur une feuille volante sans titre le nombre de reçus qu’elle rend. Comme tous ceux qui sont dans la file sont là pour les passeports, j’en déduis que ce sont les reçus qu’elle a eu à gérer depuis le matin. J’en compte (5*5*3)+3*5, ce qui fait 90 passeports à 15h30 environ.

  1. Remettre l’ensemble au guichet passeport, récupérer ses pièces et son récépissé

Retour devant les guichets. C’est maintenant la cohue. Ceux de l’après-midi s’impatientent. Je retrouve les trois qui étaient devant moi à la caisse. Si tu dors, ta vie dort. Je me faufile, mais ça ne bouge pas vraiment. Une dame dans la masse dit « l’après-midi c’est pour les retraits, place aux retraits ». Aussitôt plein de gens qui patientaient et qui ont cru que la voix venait du guichet viennent s’ajouter. La porte des empreintes s’ouvre. On apostrophe la dame « on a payé à la caisse, on veut juste déposer nos reçus ». Et elle de dire « mais déposez les au guichet ». C’est bien ce qu’on essaie de faire, mais ça ne bouge pas. La dame du guichet commence à s’énerver. Tout le monde gueule. Certains demandent de se calmer car « si elle s’énerve plus elle peut fermer et on est tous morts ». Les plus téméraires envoient carrément leur dossier à ceux qui sont devant, sans peur de perdre le reçu volant. Et ça marche pour 3 ou 4. Ils ont leur récépissé. Je choisis de ne pas balancer mon dossier, mais de guetter les places qui se libèrent. En moins de 5 minutes, je suis moi-même devant le guichet. Je lui tends mes reçus. Elle retrouve mon dossier complet. Mais, mais… 

Elle me tend la copie de ma CNI en disant qu’il faut aller la certifier. Je lui demande pourquoi on ne me l’a pas remise en même temps que le reste. Derrière moi, on me demande pourquoi j’ai même donné ma CNI (bah parce que c’est demandé dans la liste des pièces, et ce n’est pas écrit facultatif). Bon, je vois que j’ai un mur, je prends la copie et je fonce. Je ressors de l’ambassade, direction un distributeur. Vite je repars à la caisse, je ne refais pas la queue, et j’explique à la dame. Compréhensive. 5 minutes plus tard, je suis de nouveau dans la cohue des passeports. Cette fois-ci, je tente un passage par la droite. J’essaie d’expliquer que je n’ai qu’un papier à déposer, mon dossier étant déjà chez la dame. « Et alors ? Nous aussi on n’a que des papiers à déposer » me répond-on. Je parviens quand même à convaincre et à passer ma feuille à la dame qui est devant le guichet. J’essaie de lui expliquer. Elle tend mon papier et le dossier d’une autre personne à la préposée. Je guette les faits et gestes de cette dernière. Elle est sur un dossier. Je la vois terminer, remettre le récépissé et regarder ce qu’on vient de lui déposer.

Elle prend ma feuille, ouvre le dossier de l’autre personne et l’insère dedans. Je crie, je lui explique. Elle me regarde, s’énerve en me demandant pourquoi je n’ai pas tout déposé en une seule fois. Je me retiens de lui dire pourquoi. Elle fouille parmi cinq ou six dossiers à sa droite, retrouve mon dossier, insère la copie de la CNI, me tend le récépissé et dépose mon dossier dans la pile des dossiers traités. J’espère que tout y est bien. On verra dans 3 mois…

J'ai voulu renouveler mon passeport ndolè: Périple en terre camerounaise (de France)...

En définitive, j’y suis arrivé alors que je n’y croyais pas quand j’ai tiré le numéro 100. J’ai quand même l’impression de m’en être mieux sorti que beaucoup. Certains sont arrivés à 8h et se sont retrouvés derrière moi dans des queues. Même après l’épisode de la CNI, je suis venu repasser devant des gens qui étaient déjà dans la queue avant. C’est parce que c’était la jungle. Et ça entraine des insatisfactions. De nombreuses. Pensons à ces familles avec enfants en bas âge qui ont passé plus de 7h sur place. Quelles sont ici les causes de ces insatisfactions, communes à celles que l’on peut rencontrer généralement quand on est au contact de l’administration du régime ? Ici, je n’ai pas vu de népotisme. Je n’ai pas vu de tribalisme. Je n’ai même pas vu de corruption. Bien que l’on puisse se demander pourquoi en 2018 on en est encore à payer des centaines d’euros en espèces. J’ai ouïe dire que c’est parce que les Cartes bleues ont un coût. Soit. L’ambassade est correcte du point de vue des infrastructures. Même les toilettes sont propres. En attente de preuves du contraire, j’admets que cet argent va où il doit aller. Quelle est la cause des insatisfactions alors ? Je dis que c’est l’inefficacité.

On ne peut pas être efficace quand on ne sait pas quel est le but visé. Si le but visé est de délivrer des récépissés de passeports à des usagers satisfaits (ou pas trop mécontents) par des préposées non stressées, alors on en est loin. En cause

  • La communication défaillante. A aucun moment on a une information claire sur les étapes à franchir (à l’accueil on nous dit juste de commencer par l’Etat civil). On ne sait pas non plus combien on va payer in fine.
  • Les méthodes sont archaïques : Nulle part je n’ai vu de PC. On compte les paiements sur une feuille volante sans titre, on dépose les dossiers les uns sur les autres et pas forcément en ordre. On vous demande si vous connaissez votre taille. Ce n’est que quand vous dites non que vous allez être mesuré…
J'ai voulu renouveler mon passeport ndolè: Périple en terre camerounaise (de France)...
  • Quelles sont les pièces justificatives (et donc à quoi serventelles ?) ? C’est la première fois que je vois que ceux qui ont toutes les pièces exigés sont pénalisés par rapport à ceux à qui il en manque. Cas de la CNI. On paye 5 euros de plus, et on risque des imbroglios terribles comme ça été mon cas et comme ça aurait pu être pire si j’avais laissé qu’elle mette ma copie dans le dossier d’un autre.
  • Le process est perfectible. Vous avez vu les nombreuses étapes. Même en gardant leurs contraintes (paiement séparé des opérationnels, et uniquement des officiers d’Etat civil habilités à faire de tels actes), on pourrait le simplifier de la manière suivante.
  1. Placer les passeports sur le guichet avec un compteur (actuellement Etat civil) J’ai compté à peu près 150 numéros appelés à l’Etat civil. Au-delà de 90, beaucoup ont abandonné et sont partis, donc environ 120 sont effectivement passés par l’Etat civil ce jour-là. Quand je passais à la caisse, elle en était à 90 demandes de passeport, et il y en avait encore au moins 15 derrière moi. Conclusion, de ceux qui passent à l’état civil, les demandes de passeport représentent au moins les 3 quarts. On déplace alors les autres demandes d’état civil vers un autre guichet pour lequel une simple queue serait demandée.
  2. Déposer son dossier complet au guichet Passeport : Les usagers déposent l’entièreté du dossier. Les fonctionnaires examinent la complétude, préparent leurs formulaires internes et envoient un bloc de 10 ou 20 copies d’actes rangées en ordre dans un bureau d’Etat civil (ces copies n’étaient de toute façon pas traitées au guichet, mais en backoffice).
  3. Relevé d’empreintes : Pendant que les copies sont à la signature, les 10 ou 20 personnes concernées sont appelées pour prise d’empreinte et de taille. Ils ressortent de là avec leur dossier. A ce stade, leur récépissé est prêt, mais n’attendent que le reçu de paiement
  4. Caisse : les usagers passent à la caisse et reviennent dans le guichet secondaire pour prendre leur récépissé. Fin
  5. A noter que l’on peut paralléliser l’étape 3 avec la 2. Si le consulat édite un document récapitulatif des paiements (feuille avec une rubrique « timbre copie acte », une rubrique « timbre formulaire » et une rubrique « frais passeports ») l’usager, au dépôt de son dossier (étape 1) se voit remettre ladite fiche. Pendant que l’administration examine le bloc de 20, les 20 font la queue à la caisse et en échange de paiement, le caissier tamponne les différentes rubriques. Il revient alors donner ses empreintes avec les preuves de son paiement et ressort de là avec son récépissé.

 

On pourrait le faire. Je suis disponible pour aider. Je suis certain que de nombreux autres Camerounais ont des compétences en management des organisations ou optimisation de process. Utilisons ces compétences pour plus d’efficacité et de satisfaction du public. Et attendant, on se demande pourquoi on garde le passeport Camerounais au lieu de faire comme les autres et de demander un passeport rouge. La réponse est simple. On ne va pas abandonner. On n’est pas prêt d’abandonner. C’est notre pays.

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