Nous sommes tous des féministes...
14 juil. 2018J’ai été invité par Le Pas Féminin à intervenir dans un débat sur le thème « Le ou Les féminismes ? Quels fondements, quelles réalités ? ». C'est probablement cet article écrit à la naissance de ma fille qui m'a valu cette invitation. Qu'est ce que le féminisme? Qui est féministe? Qui doit-être féministe? A l'issue de cet article, vous verrez que tous, hommes, femmes, nous devons être des féministes engagés…
Sacha Baron Cohen est un humoriste qui a entre autres, réalisé « The dictator », un film relatant les pérégrinations d’un dictateur du Moyen Orient exilé incognito aux USA. Il est amené à donner naissance à un bébé en urgence. Le résultat est dans la vidéo ci-dessous.
Que ma fille ait les mêmes possibilités que quiconque de pouvoir toucher le ciel ?
Moi, comme vous j’imagine, je ne veux pas jeter ma fille à la poubelle. Et que lui souhaité-je ? Je souhaite, comme pour son frère avant elle, qu’elle ait toutes les possibilités de pouvoir atteindre ses rêves. De pouvoir toucher le ciel. A condition qu’elle le veuille et qu’elle en ait les capacités.
C’est bien. C’est même très bien. Mais est-ce le cas ? Sera-ce le cas ? Qu’elle vive au Cameroun, en France, en Inde, aux USA ou ailleurs où la vie la mènera, aura-t-elle les mêmes chances que son frère de se réaliser ? Pour y répondre, il convient de se demander ce que signifie avoir les mêmes possibilités, ou plutôt ne pas avoir les mêmes possibilités. Si A et B rêvent d’un concours mais que A ne peut pas étudier autant que B, alors il n’a pas les mêmes possibilités que B. Si A produit une meilleure copie que B mais que B est pris, alors il n’a pas les mêmes possibilités que B d’atteindre son rêve.
L’on n’a pas les mêmes possibilités que les autres, si avant même d’avoir fait quoique ce soit, l’on est handicapé. Handicapé par la société (l’environnement, les lois, les autorités, les institutions, des individus spécifiques en toute impunité, etc.) qui nous traite alors selon ce que nous sommes (ce que nous sommes à la naissance ou ce que nous sommes à un moment de notre existante). C’est cet état de fait que l’on nomme alors discrimination, et que moi j’appelle rupture d’égalité.
C’est ce qui se passe quand alors qu’on est Noir aux Etats-Unis, on a 9 fois plus de chances de se retrouver en prison que quand on est Blanc. C’est ce qui se passe quand alors que l’on est homosexuel dans bon nombre de pays Africains, on risque de voir ses rêves se briser en prison. C’est ce qui se passe quand on est arrêté pour ses idées politiques. C’est ce qui se passe quand 55% des femmes au Cameroun (30% dans le monde) subissent des violences parce qu’elles sont femmes. C’est encore et toujours se qui se passe quand en France, les femmes gagnent 76% du salaire des hommes et que seuls 3,5% des femmes sont dirigeantes de groupes du CAC 40. Ce sont là des discriminations. Et toutes les discriminations doivent être combattues. Sans distinction. Et chacun de ces combats est louable, car toute discrimination empêche un enfant quelque part dans le monde de pouvoir toucher son ciel. Et ce n’est pas acceptable.
Le combat qui consister à lutter contre les discriminations faites aux femmes est le féminisme. C’est sa définition. Et tous ceux qui prennent part à ce combat sont donc des féministes. Je suis un féministe. Je veux que ma fille, et toutes les petites filles du monde, aient les mêmes possibilités que les hommes de faire ce qu’elles veulent, dans la limite de ce qu’elles peuvent. Et en tant que féministe, quelle est la stratégie pour prospérer dans mon combat ? Pour cela reprenons l’exemple cité.
En France, les femmes gagnent 76% du salaire des hommes et que seuls 3,5% des femmes sont dirigeantes de groupes du CAC 40. A quoi est-ce dû ? Qui dit discrimination dit très souvent quelqu’un qui fait cette discrimination. On peut donc penser que si ces femmes sont si peu représentées, c’est parce que quelqu’un les bloque. Ce qui nous mène à la première cause des discriminations aux femmes. Ou plutôt aux premiers responsables.
Il s’agit de ce que j’appelle les machistes. Ce premier groupe est principalement composé d’hommes. Ce sont eux qui disent « les femmes ne peuvent pas », « les femmes ne peuvent pas », « les femmes n’ont pas le droit de ». Les membres de ce groupe se retrouvent chez les fondamentalistes religieux et traditionnalistes, mais également chez ceux qui cherchent à exclure volontairement les femmes pour mieux conserver des avantages. Leurs outils de domination sont les règles qu’ils édictent, que celles-ci s’appuient (interdiction jusqu’à Juin 2018 de conduire pour les femmes en Arabie Saoudite) ou non sur les lois civiles du pays. Pour notre exemple de la représentativité dans les entreprises, on les retrouvera chez ceux qui dans l’entreprise vont bloquer les recrutements ou promotions de femmes. Mais aussi, à l’extérieur de l’entreprise, chez ceux qui vont assigner les femmes à résidence (une femme ça ne travaille pas, ça reste à la maison pour s’occuper des enfants). Cet exemple nous permet de ce toucher du doigt que ce groupe ne peut pas être la cause majoritaire pour cet exemple. Où sont donc les causes principales ? ou plutôt qui sont les principaux responsables ?eut-être que les femmes sont bloquées volontairement par certains hommes, mais n’y a-t-il pas ce problème parce que
- Les femmes se retrouvent moins nombreuses dans les écoles qui donnent les diplômes qui permettront plus tard d’être dirigeant du CAC 40
- Qu’il s’en suit qu’elles sont moins nombreuses à être recrutées dans ces filières/parcours
- Que même quand elles sont recrutées, ce sont elles qui vont devoir le plus faire le choix entre la famille (enfants, maison, etc) et le travail, et ainsi compromettre leurs chances de prospérer. En France, aujourd’hui, les tâches ménagères sont encore à 80% faites par les femmes. C’est mécanique
Qui est donc responsable de cela. J’appelle ce second groupe « les Inconscients de la discrimination ». Ce groupe est constitué indistinctement d’hommes et de femmes. Ils pensent que les hommes doivent faire ceci, et les femmes doivent faire cela. Ils pensent qu’une bonne fille doit pouvoir se marier. Elle doit donc savoir tenir sa maison, élever les enfants, et savoir cajoler son homme. Lady Ponce a commis un tube il y a une dizaine d’année en disant que l’homme se résume à « son ventre et son bas-ventre ». Aujourd’hui encore de tels messages sont véhiculés, en toute bonne foi, par des gens qui entendent louer la femme. Tenez, ce groupe de « Urban Music » en vogue.
le tube qui "vante" la femme...
Pour eux, la fille modèle, celle qui connait, c’est celle qui sait « tourner le couscous », « laver les habits du garçon » et « tourner son derrière ». Voilà ce qui est attendu d’une femme par la majorité au Cameroun. Et cela a des conséquences.
Par exemple : Vous avez un garçon et une fille adolescents. Ils rentrent de l’école, et la fille va « aider sa mère » à la cuisine tandis que le garçon peut se détendre avant que les deux puissent éventuellement étudier. Et encore pour la fille, elle peut même ne pas étudier si fort que cela, puisque si elle est bien, elle trouvera un bon mari. Mais même quand elle étudiera, elle sera plus fatiguée que son frère. D’autre part, avec l’habitude de participer à la gestion du foyer, de s’occuper de tout comme sa mère (y compris de son frère), elle développe progressivement cette charge mentale qui la freinera également plus tard au travail, même quand elle aura bien étudié. Ce qui est dit là est également valable dans les sociétés occidentales. Rappelez-vous, nous sommes partis de statistiques en France. Là également, les petites filles reçoivent des poupées « bébé » dont elles doivent s’occuper comme une « maman », quand ce n’est pas une cuisine miniature.
Autre conséquence ou plutôt corollaire, l’homme a également son rôle. Celui de celui qui doit s’occuper financièrement du ménage. Et plus la société est « en retard dans la course au développement », plus cela est accentué. En effet, si on peut s’en sortir relativement facilement par soi-même, on n’a pas besoin d’attendre un mari. Et plus c’est difficile de s’en sortir par son travail, plus on envisage avec attention l’option mari pour sa fille, et on l’éduque avec les « valeurs » de bonne épouse. C’est ainsi que l’homme paiera la dot pour se marier (que moi j’assimile à du simple commerce. J’entends les « traditions » ou les « rencontres entre les familles », mais…) et qu’il développera naturellement la notion de rapports hommes femmes basés sur l’argent. Les femmes également. Le 8 mars dernier, journée internationale de la femme, combien ont elles été à obtenir leur pagne (et sa couture) par un homme (compagnon ou simple dragueur) ? Une bonne partie de la violence se retrouve également ici : c’est celui qui paie qui commande.
A côté de ces deux groupes, Il y a ensuite le troisième groupe : C’est celui de ceux qui sont conscients de ces discriminations et qui choisissent de porter le fer et de lutter contre les discriminations subies par les femmes ET leurs causes. Il y a principalement des femmes, et certaines des femmes du second groupe y viennent de temps en temps, notamment pour soutenir une femme qui a un parcours remarquable (vous voyez, c’est la première femme général d’armée, etc.). Et quand on parle de discriminations faites aux femmes, l’erreur la plus communément répandue est de les attribuer essentiellement au premier groupe, alors que le gros du travail est dans le second groupe. La femme battue par son mari ne porte pas plainte (alors que les lois l’y engagent) à cause du groupe I (la loi ici) mais à cause du groupe II, la société qui va lui expliquer que pour son bien, il faut qu’elle retourne chez son mari, s’occuper de ses enfants.
Quand j’ai parlé de ce sujet à bon nombre de personnes que l’on pourrait ranger dans le troisième groupe, la plupart avait une mauvaise image des « féministes ». En fait les activistes qui réclament le label « féministe ». Cette mauvaise image est selon moi due au fait qu’elles font également cette erreur consistant à se concentrer uniquement sur le groupe des machistes. De plus, les formes et moyens engagés ne sont pas souvent les plus pertinents (indexation des hommes en général, rapports frontaux, etc.).
La meilleure manière de combattre est ailleurs. C’est en changeant la société. Et pour la changer, il faut commencer à identifier la cause de tout ceci. Disons le tout de go, je pense que la cause est dans le fait que l’homme est vu comme un animal qui ne sait pas gérer ses pulsions.
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Il a un sexe, et il en est l’esclave. C’est pour cela que
- Il veut plier le monde pour satisfaire ses désirs.
- Même quand il veut rester sain, il faut que ce soit les filles qui l’y aident (couvrez-vous, ne les aguichez pas, il t’a violée ? Mais pourquoi tu avais une jupe aussi courte ? ce sont des animaux on vous dit)
- Il est prêt à payer pour le sexe. Du coup certaines femmes sont prêtes à activer l’option « je m’en sors grâce à un homme ».
- Pour conserver cette option, elles se disent qu’elles doivent maîtriser son approvisionnement en bonheur (le ventre et le bas ventre)
- On est alors repartis vers la société qui cantonne la femme à la satisfaction des besoins de l’homme et l’empêche elle, d’atteindre les sommets.
Pour sortir de là, il faut que chacun d’entre nous, parents proches ou éloignés des petites filles ET des petits garçons mettions la main à la pâte. Les petits garçons doivent comprendre qu’ils ne sont pas des animaux, qu’ils peuvent se maîtriser, et ainsi donner la place à l’autre de s’épanouir également. Et les petites filles doivent comprendre que leur bonheur ne doit pas dépendre du monsieur qu’elles côtoieront ou pas.
En conclusion, si on a une fille, une nièce, une sœur à qui on souhaite le meilleur, on ne saurait décemment pas accepter de la laisser affronter des obstacles injustement mis sur sa route. Il faut l’aider, les aider toutes à aplanir leur chemin. C’est cela être féministe. Que l’on soit un garçon ou une fille…