Les débats sur le CFA font rage en Afrique, et ne sont éclipsés que par des crises médiatiques épisodiques (Lybie, Mugabe, Nganang, etc.). Le problème avec ces débats est qu’on y mélange parfois des notions de valeurs, de principes, de symboles avec l’économie. Cet article n’a pas pour but de se positionner sur pour ou contre le CFA, mais d’expliquer simplement quelques principes du fonctionnement de la monnaie, de son rôle dans une économie. Ceci permettra à ceux qui participent au débat, de le faire en parfaite connaissance de cause…

Tout d’abord, sur le plan des symboles, une monnaie, qui 60 ans après les indépendances s’appelle encore Franc, ce n’est pas ce qu’il y a de plus génial. Elle pourrait par exemple s’appeler Meac (Monnaie des états de l’Afrique Centrale). Qu’elle soit adossée à la banque de France (alors même que le Franc n’existe plus) et pas à la BCE (qui serait symboliquement plus diluée) est tout aussi regrettable. Mais ce sont là des symboles, qui ne disent rien du fonctionnement économique de la monnaie en question. Les symboles peuvent se changer, mais commençons par regarder ce qu’il en est de l’économie.

Pour cela, prenons deux pays africains : Le Cameroun qui est dans la zone CFA (CEMAC) et le Ghana qui a sa propre monnaie (CEDI). Ils sont similaires en nombre d’habitants, en  PIB/habitant, et en structure de l’économie : répartition des secteurs primaire, secondaire et tertiaire, ainsi qu’en type d’exportation.

Prenons maintenant Koffi, riche importateur Ghanéen. Il se rend à Reims, pour acheter 10000 bouteilles de Champagne pour couvrir le marché local pendant les fêtes qui arrivent. Imaginons alors qu’il sorte une grosse liasse de CEDI (1 € = 5,33 GHS au 21/12/2017) pour payer. Que lui répondra le viticulteur ?

  • C’est pour quoi ? je vais faire quoi avec ça ?
  • Mais c’est l’argent non ? c’est pour te payer
  • C’est l’argent dans ton pays, mais ici en France ou à l’extérieur du Ghana, ça me servira à quoi ?
  • Mais peutêtre un jour, tu auras besoin d’acheter des choses au Ghana
  • Rien n’est moins sûr, et ne t’inquiète pas, si ça arrive, je saurais convertir mes euros en Cedi. Payemoi avec une vraie monnaie stp !

Voilà à peu près la teneur de leurs échanges. Conclusion n°1 : Une monnaie ne sert qu’à acheter que ce qui est produit dans le marché local. Et pourquoi, me direz-vous, pourquoi certaines monnaies sont échangées sur le marché international, au-delà de leurs frontières ? Parce que leurs détenteurs pensent qu’ils sauront, pourront l’utiliser facilement et trouver preneur. Ces monnaies qui sont acceptées dans des pays étrangers sont appelées devises  : l’Euro, le dollar, etc. Le producteur de champagne prendra éventuellement les dollars parce que les Chinois chez qui il achète ses bouteilles vides accepteront ces dollars. Que fera donc Koffi avant d’aller à Reims ? Il amènera sa liasse de CEDI à la banque centrale Ghanéenne qui lui remettra en échange des dollars ou des euros et il ira à Reims. Sinon, il ne peut absolument rien acheter à l’étranger. Conclusion n°2 : Chaque Etat doit avoir à disposition des devises, en général dans sa banque centrale.

Imaginons que Koffi représente l’ensemble des acheteurs Ghanéens. Ces acheteurs disposent donc au maximum de l’ensemble des CEDI existant. Or nous avons conclu en C1 que les CEDI ne servaient qu’à acheter des choses localement. Conclusion n°3 : l’ensemble des CEDI en circulation correspond à la production locale totale. La question qui suit est de savoir à quoi correspond le montant de devises disponibles à la banque centrale. Disons d’abord que ces réserves augmentent quand Bryan, Iakov et Lee viennent acheter des produits au Ghana puisqu’ils apportent des devises et que les producteurs locaux reçoivent des CEDI. Et que ces réserves diminuent quand Koffi achète à l’étranger (importations) vu qu’il doit convertir ses CEDI en devises. Et Koffi ne peut pas convertir en l’absence de devises. Conclusion n°4 : La capacité d’importation est strictement limitée par les réserves en devises disponibles.

Imaginons que Koffi demande à Martin en Juin, le producteur de Champagnes, de lui préparer 10 000 bouteilles personnalisées pour Décembre. Que va faire Martin ? Il va lui demander une avance à la commande, peut-être une tranche en Septembre et le solde à la livraison en Décembre. Koffi va payer l’avance (avec les devises de la banque centrale Ghanéenne). Martin verra donc les euros. Mais à quelles conditions la transaction se fera-t-elle ? Seulement si Martin pense qu’il sera payé du reste. Et comment le sera-t-il ? S’il pense que les devises existantes à date seront suffisantes pour que Koffi en prennent une partie pour Martin. Conclusion n°5 : Les réserves en devise représentent une garantie pour les partenaires étrangers.

A ce stade, récapitulons. Les CEDI correspondent à la production totale Ghanéenne. Tout comme les CEDI ont une correspondance directe avec les réserves en devises. Est-ce à dire que les réserves correspondent à la production ? Il y a un lien, mais il n’est pas absolu. Nous avons dit que les réserves correspondaient aux exportations. Mais est ce qu’on exporte tout ce qu’on produit ? Exporte-t-on le service de taxi ? La tomate sur le point de pourrir ? Le savoir enseigné dans une école privée ? Non, mais ce sont là des productions locales. On voit déjà que certains produits sont exportables, et d’autres pas. C’est logique. Si Koffi est limité par les réserves quand il veut importer, on peut affiner notre démonstration en disant que ce n’est pas non plus tous les CEDI qui ont besoin de réserve, puisqu’il y en a qui demeureront forcément à usage interne. Conclusion n°6 : Les réserves en devises correspondent à la production exportable qui elle-même correspond à une masse de monnaie échangeable à l’extérieur.

Regardons à présent la figure suivante. Elle représente l’évolution du taux de change EUR/GHS sur un an. On note qu’en un an, le CEDI a perdu plus de 20% par rapport à l’Euro.

 

Et le CFA alors?

Comment ça marche ? Les CEDI correspondent à la production. Imaginons qu’au Ghana il y a 100 UPE (unités de production exportables) qui valent 100 CEDI et qu’il y a 100 EDE (Equivalent en Devise). Si le stock en devises baisse à 80 EDE par exemple (parce qu’on a importé et rien exporté sur une période), on aura alors 100 CEDI = 80 EDE. Les importateurs vont se partager ces 80 EDE, et donc de facto on a une baisse de la valeur de la monnaie. Et ça arrive si la production exportable baisse (80 EDE = 100 CEDI = 80 UPE) ou si l’Etat fait jouer la planche à billet. Dans ce cas, il met en circulation plus de CEDI (par exemple de 100 à 120 CEDI). On a alors 100 UPE = 120 CEDI = 100 EDE. Et on a une nouvelle baisse de la valeur de la monnaie. Conclusion n°7 : L’évolution du taux de change dépend de la production externalisable et du volume de billets en circulation.

 

On intitule un article « Et le CFA alors ? » et on ne parle que du CEDI. Mais c’est parce que ce qui se passe avec le CEDI est EXACTEMENT ce qui se passe avec le CFA. Nous l’avons vu avec le Cameroun, déjà les économies sont similaires. Les 7 conclusions sont toutes valables et applicables. Mais quelques modalités changent

  • Sur la conclusion n°1 : le marché local est étendu aux marchés d’un ensemble de pays.
  • Sur la conclusion n°2 : les Etats de la zone CFA ont bien des devises, mais elles sont gardées en partie (à hauteur contractuelle de 50%) par le Trésor Français.
  • Sur la conclusion n°3 : pas de changement
  • Sur la conclusion n°4 : pas de changement
  • Sur la conclusion n°5 : ici les partenaires ont la garantie que les détenteurs de CFA pourront toujours les payer en Euros. Cette garantie n’est pas apportée par les Etats de la zone, mais par la France. Du coup, il y a nécessairement un déport de garantie. C’est pour cela qu’une partie des devises de ces Etats est bloquée.
  • Sur la conclusion n°6 : pas de changement
  • Sur la conclusion n°7 : Le taux de change est fixe avec l’Euro. Mais il est quand même basé sur les mêmes principes. Puisque la planche à billet est impossible, les problèmes viendront donc d’une baisse du niveau des devises (déficit de la balance commerciale). Or nous avons vu en conclusion n°6 que le niveau de devises doit correspondre à la masse monétaire en circulation. Et l’ajustement qui est permanent et progressif avec le CEDI ne peut être que brutal avec le CFA. En effet, pour ne pas être à la table de négociations tous les mois, le taux de change est forcément fixé en prévoyant une souplesse. Si donc le niveau des réserves de devises baisse beaucoup (audelà de la souplesse intégrée dans le système), alors une dévaluation massive (de l’ordre de 50% comme dans les années 90) est obligatoire et fera l’objet d’âpres négociation entre les Etats membres.

 

Au terme de cet article, nous pensons avoir expliqué (sans les nuances des économistes chevronnés), le fonctionnement de la monnaie, et pourquoi le fonctionnement du CFA ne peut être différent de ce qu’il est. Le niveau des devises en zone CFA est très bas et les rumeurs de dévaluation en zone CEMAC vont bon train. Bien sûr, les Etats ne voudront pas. Ils promettront de corriger le tir. De mettre plus de rigueur dans la gestion. De l’autre côté, la France aura peur de continuer à voir le niveau de devises bas et poussera pour la dévaluation (ou la sortie du CFA). Bref, ça négociera. Et si on en revient au sujet du symbole, à part un changement de nom, nous ne sommes pas dans la bonne période pour obtenir quoi que ce soit.

Bien sûr, il reste la sortie du CFA. Et là on en revient au débat : est-ce mieux le CEDI ou le CFA économiquement? Une inflation maitrisée mais une rigueur imposée selon un agenda extérieur est elle meilleur qu'une inflation galopante mais une plus grande marge de manœuvre?  

Et le CFA alors?
Et le CFA alors?

Bref,  cela mérite un débat économique encore plus poussé. Peut-être une autre fois…

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