Le Mali et la Côte d’Ivoire ont fait l’actualité politique en ce mois d’Août 2020. L’une parce que son Président a décidé de se représenter, après avoir dit qu’il ne le ferait pas et dans un flou constitutionnel. L’autre parce qu’après de semaines de contestation populaire, le Président a été débarqué suite à un coup de militaires. Deux situations différentes, mais qui appellent réflexion. Réflexion qui ne manquera pas de confronter ces situations au cas du Cameroun…

 

Prenons le cas de la Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara a été élu en 2010, puis a remporté les élections en 2015. La constitution de 2016 ouvrait une nouvelle (3ème ) république. Sans changer les limitations de mandat (2), elle ouvrait des discussions entre constitutionnalistes sur le fait de savoir s’il fallait compter ou pas les mandats préalables à son établissement. Ces débats avaient pour toile de fond la candidature de Ouattara pour 2020. Il a fait avorter ce débat en se désistant au profit de son premier ministre pour l’élection de 2020. C’était bien, c’était noble, et comme il l’avait lui-même dit, « il n’y a pas que le pouvoir dans la vie ».

Mais voilà, le PM Gon Coulibaly est décédé en Juillet, et Ouattara a décidé d’être le candidat du RHDP pour la présidentielle, déclarant ainsi se sacrifier pour préserver les acquis depuis 2011 et "parce qu’on ne peut pas préparer un successeur en 4 semaines".

Sauf que sur la forme, cela contredit complètement les louanges à lui adressées en Mars. Si son argument du bon successeur pour préserver les acquis de ses deux mandats est à considérer, cet argument aurait pu être invoqué en Mars également. Et si en Mars il a pu trouver « le bon dauphin », pourquoi 5 mois plus tard il n’y aurait plus aucun candidat crédible ? Nous pensons que nous avons ici affaire à deux fautes :

La première est l’utilisation même du terme dauphin. En démocratie, il ne revient pas à un individu unique de décider qui est à même de remplir la mission. On peut avoir sa préférence, mais c’est collégialement, dans un parti d’abord puis avec le peuple tout entier que le choix doit être fait. Notons également que même dans les monarchies, si le dauphin meurt, même la veille de son couronnement, le système prévoit qui doit prendre la suite sans que la Terre ne s’arrête de fonctionner.

Ce qui nous mène à la seconde faute. C’est l’échec de Ouattara en tant que leader à avoir suscité une relève nombreuse. Nous pensons que tout leader (et où que ce soit : entreprise, famille, politique, etc.) doit dans ses missions, en avoir une, primordiale, qui consiste à mettre en place le cadre qui fera émerger une nouvelle génération de leaders capables de reprendre le flambeau et de le faire aller plus loin. Pour que lors du jour où la relève arrivera, on n’ait que l’embarras du choix. Le bon leader ne doit pas choisir un dauphin. Il doit se demander « comment développer l’empathie, la compétence, le sens de l’Etat, l’intégrité, etc. dans mes équipes » et tout mettre en place pour y arriver. Ouattara avait pourtant déclaré en 2019 avoir déjà 4 successeurs potentiels. Ce qu’il dit un an plus tard va à l’encontre, et c’est un échec.

Pourtant je trouve qu’il a un bon bilan (surtout si on le compare à d’autre pays commençant par « Camerou », mais je ne dirai pas lequel). J’ai aussi écrit qu’il avait sans conteste gagné les élections de 2010 ), mais il a tort au vu des arguments qu’il avance, de se représenter après avoir annoncé qu’il ne le ferait pas. Ce qui a ouvert la voie à des contestations (et je n’espère pas à une instabilité sur le plan de la paix) et au retour des débats sur la constitution. Mais comme il le dit lui-même dans cette vidéo, c’est lui qui a écrit la nouvelle constitution (dans laquelle il avait pris soin de retiré le verrou de la limite d’âge. Il ne pourra pas être contredit sur le terrain juridique. Malheureusement

 

Réflexions sur les situations politiques malienne et ivoirienne...

Passons ensuite au Mali. La situation y est toute autre. Après des mois de contestation populaire, l’armée (ou du moins une partie d’entre elle) a arrêté le Président et son Premier Ministre. Le Président a ensuite annoncé qu’il démissionnait « pour préserver la paix ». L’armée a annoncé l’ouverture d’une transition politique civile. Par principe, nous sommes opposés (et l'avons écrit ici dès 2010) aux interventions militaires dans le sens où elles ne concourent jamais du jeu démocratique. Il s’agit de coups de force, dont la légitimité est la force et donc pas la voix des urnes. Si un Président est élu démocratiquement (ce qui, ce me semble, était le cas au Mali en 2018 ) un coup d’état ne peut pas faire aller vers plus de démocratie. C’est ce que je pense. Mais, car il y a un mais. Il y en a même deux.

Le premier est qu’il faut soi même avoir été élu démocratiquement. Comme je l’ai dit, ce me semble être le cas au Mali (en 2013 et en 2018), mais ce n’est assurément pas le cas dans bon nombre d’autres pays. Et quand un leader n’accède pas au pouvoir démocratiquement, il y accède par un coup de force et instaure la force comme source de légitimité. Il n’y a donc rien à redire quand la force (d’un coup) remplace la force (d’une fraude électorale). Le second est la question de savoir si parce qu’on a gagné les élections, on est intouchable jusqu’aux prochaines échéances. C’est en effet la question au Mali.

https://theconversation.com/les-religieux-sont-ils-en-train-de-prendre-le-pouvoir-au-mali-141085

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Certes la contestation part des élections législatives contestées, mais s’y adjoignent des critiques directes contre la politique (ou l’efficacité de celle-ci) du Président. Les gens sont donc dans la rue, et l’armée, à leur écoute organise ce putsch. Si les élections consacrent la légitimité populaire, peut on ignorer les changements d’opinion entre deux élections ? Que faire ? Si nous souhaitons rester contre les coups d’état militaires dans les pays à culture démocratique, c’est peut être le moment de pousser de nouveau l’idée d’un référendum révocatoire. Nous l’avions évoquée à l’époque où Maki Avele conseillait les politiques. Elle consiste, en cours de mandat et sous certaines conditions (pétition réunissant un qorum, ou vote des 2/3 de l’AN, ou promesses de campagne non tenues, etc.) à organiser un référendum qui consiste à dire si OUI ou NON il faut mettre fin au mandat actuel avant son terme et réorganiser des élections. Ainsi, le peuple garde sa légitimité tout au long du mandat, le dirigeant est obligé de délivrer des résultats et on évite de légitimer des coups d’état dont on sait comment ils commencent, mais jamais comment ils finiront. Espérons qu’au Mali, les militaires organisent une vraie transition qui permettent à la démocratie malienne de ne pas reculer.

On a coutume de dire que les Camerounais aiment parler des autres en oubliant ce qui se passe chez eux. Pour ma part, je ne parle des autres que pour pouvoir faire le lien avec ce qui se passe chez moi, au Cameroun. Toujours. Examinons si les leçons démocratiques que nous avons tirées de ce qui précèdent s’appliquent au Cameroun, à savoir : avoir un bon Bilan, préparer les générations qui suivent et passer la main, gagner démocratiquement des élections, et rester en phase avec les aspirations du peuple après les élections. Examinons-les, un par un

  1. Sur le bilan : Lors de la campagne 2018, nous avions examiné le bilan de M. Biya en notant que même son site de campagne n’en parlait pas. Le résultat était que le bilan n’était pas positif. Et il est à craindre que depuis 2018, les choses ne sont pas allées en s’améliorant avec le fiasco de la Can et par exemple l’autoroute Douala Yaoundé qui continue de battre des records de coûts au Km.
  2. Sur la capacité à générer la relève : Une fois n’est pas coutume, commençons par louer M. Bitya pour ses propos de 2007 lorsqu’il déclarait « Le moment venu, il y aura des candidats et je crois que l’idée de préparer quelqu’un, cela relève de méthodes proches de la monarchie ou de l’oligarchie ». Il oubliait certainement que le pouvoir lui a été confié comme à un dauphin. La monarchie et l’oligarchie ont-elles disparu ? Nous n’avons pas oublié qu’il a été candidat ensuite en 2011 puis en 2018 et que tous ceux qui ressemblaient à des successeurs potentiels dans les années 2000 ont fini en prison. Si on demande aujourd’hui à un militant de son parti qui viendra après Biya à la tête de leur parti, ils seront bien en peine de donner et un nom, et s’ils en donnent un, le porteur refusera cette étiquette. Trop dangereux
  3. Sur le fait de gagner démocratiquement les élections : Regardons 2018…
  4. Sur le fait de rester en phase avec les aspirations du peuple : difficile quant à la base on n’était pas en phase avec elles. L’observateur dira s’il pense que le peuple Camerounais est satisfait. Attention à ne pas confondre « approbation » et « peur des représailles ».

Bref, ce n’est pas bien glorieux. C’est pour cela que sans critiquer les autres pays, nous pouvons, nous devons, en tirer des leçons…

 

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