Proudhon est connu comme étant un anarchiste. Je ne l’avais jamais lu, et je le découvre par son Système des contradictions économiques ou Philosophie de la misère. Livre très intéressant et qui entraîne de nombreuses observations / réflexions. Etant donné la richesse et la profondeur du livre, je n’aurais pas la prétention d’en faire une analyse complète, mais juste de commettre une (petite) série d’articles. Celui d’aujourd’hui portera sur les impôts, et ce qu’il en dit. Plutôt instructif.

 

Il commence par dire que la visée première de l’impôt (tel que le conçoit la société) est de lutter contre les inégalités issues des différences de revenus ou de capital accumulé. Première, parce que si on collecte l’impôt, c’est pour pouvoir payer les « non-productifs » que sont les fonctionnaires, et qui ont pour mission principalement d’agir pour aider les plus pauvres : Les plus riches ayant les moyens, si tout était privatisé, de s’en sortir en payant. Je cite toujours Proudhon...

L’impôt est collecté pour pouvoir payer les fonctionnaires (et les dépenses de l’Etat de façon générale), mais comme dit précédemment, ceux-ci ont pour visée de soutenir les plus pauvres, donc de lutter contre les inégalités. Il n’est donc pas concevable (au sens où l’entendra le commun) que ce soit ces mêmes classes populaires qui le paient en priorité. Il faut donc que ce soit les plus riches. Dans tous les cas donc, l’impôt dans sa visée de lutte contre les inégalités, doit être payé en priorité par les plus riches. Sinon, il perd son sens

Ça c’est ce qui doit être. Mais qu’est ce qui est, dans les faits ? Proudhon a le génie de bien le mettre en évidence. Il commence par poser les prérequis suivants :

  • Les produits de première nécessité sont ceux que l’on produit le plus, et sont les moins chers : Parce qu’ils demandent le moins d’effort et de valeur à ajouter (les clients ayant moins de moyen, ils ne paieront pas pour beaucoup de valeur, donc il ne sert à rien d’essayer d’en mettre => effet sur le prix)) et le plus d’acheteurs (pyramide des revenus)

  • Toute baisse de la production (notamment de ce type de produits de première nécessité) impacte d’abord les classes les plus populaires : Parce que les consommateurs n’auront plus ces produits de première nécessité (ou que le prix aura augmenté), et parce que ceux qui les produisent (les ouvriers) sont aussi les plus nombreux. Une réduction de ce type d’emplois impactera donc en premier les classes populaires. Et donc accroîtra d’avantage les inégalités. Ce qui est le contraire de l’objectif visé par l’impôt.

 

Ceci étant dit, Proudhon observe que l’impôt proportionnel, selon lequel tout le monde paie la même proportion de ses revenus ou sur la valeur d’un produit (exemple TVA) est profondément inique, et ne vise pas l’objectif de l’impôt (réduction des inégalités), mais les accroit plutôt. En effet, si chacun doit payer 10% de ses revenus à l’Etat, il est évident que, alors que les besoins primaires ont une valeur relativement similaire selon les individus, cette valeur prend une part plus importante quand vous avez de faibles revenus. L’impôt proportionnel fragilise donc d’autant plus les plus faibles. Et accentue donc les inégalités.

Ce point faisant peu de débat, la parade trouvée (ceci est le constat des structures ayant mis en place l’impôt) est de créer un impôt progressif. Mais là aussi, on verra (en détail) que ce n’est absolument pas la garantie de la réussite. Voyons-le en rentrant dans le détail. Proudhon distingue trois formes d’impôts

  • Sur le processus de production : Ici on met des taxes dans le processus de production. Cela se traduira par des taxes diverses et variées. Que fera l’entrepreneur ? Il répercutera juste ces taxes dans le prix de vente. Si la stratégie de l’Etat est d’avoir ses ressources par ce biais, il taxera donc les entreprises qui produisent les biens destinés aux couches les plus laborieuses. Et donc les consommateurs seront ceux qui paieront. Les riches ne seront pas impactés.

  • Sur le produit fini (TVA par exemple). Ce type d’impôts est encore pire que l’impôt proportionnel du point de vue de l’objectif de lutte contre les inégalités. Pour le même produit, le très pauvre et le très riche paient le même prix. Et donc en proportion des revenus, le pauvre paie plus. C’est donc un impôt qui lui aussi accroit les inégalités. On pourrait dire (et moi-même je l’ai dit) « appliquons des taux de TVA plus élevés sur les produits de luxe, ceux que les pauvres n’achètent pas ». Premièrement si le taux n’est pas très élevé, cela n’impactera pas trop les riches, et de plus, cela n’apportera pas grand-chose à l’Etat, vu que le gros de la consommation est issu des couches populaires. Ensuite, si le taux est suffisamment élevé pour impacter les riches, ceux-ci n’achèteront plus (ou achèteront moins), et donc cela entraînera une baisse de la production, et donc impactera des ouvriers de la classe ouvrière par leur mise au chômage. Donc encore une fois, inefficace.

  • Sur le revenu : Impôt que l’on applique sur le montant des revenus, idéalement de manière progressive. L’idée étant qu’ainsi on pourrait directement réduire les inégalités en prenant vraiment plus aux plus riches. Il en est de deux types. Aussi inefficaces l’un que l’autre quant à l’objectif visé.

    • Revenus du salaire. L’impôt est alors appliqué sur les salaires, notamment des entrepreneurs (les patrons). Que feront ceux-ci ? Ils répercuteront cela dans le coût du produit. Du coup ce sont les consommateurs qui paieront. Et s’ils ne paient pas, ils consommeront moins, et donc ce sont les salariés qui trinqueront.

    • Revenus des bénéfices dividendes. Ici l’impôt s’applique sur les revenus du Capital investi dans les entreprises. Ce qu’on appelle aujourd’hui les dividendes. Si ceux-ci sont suffisamment élevés, les détenteurs de capitaux se poseront la question de leur intérêt d’investir. Et leur intérêt n’est que dans la hauteur des dividendes. Si les dividendes sont pris par l’Etat, ils cesseront juste d’investir. Ce qui entraînera une baisse des capitaux, donc de la production, donc une hausse du chômage. Et donc un impact direct sur les classes populaires.

 

D’où qu’on le prenne, il appert donc que l’impôt est payé majoritairement par les pauvres en. Toute autre chose est encore plus inefficace. Mais soit cela n’est même pas conçu, soit ce n’est pas audible politiquement, c’est pour cela que des politiques militeront pour « taxer les riches », mais créeront ou garderons pléthore de niche fiscale pour que ceux-ci ne paient en fait pas grand-chose.

Proudhon face à cela, dit que pour sortir de cette inconséquence (qui entraîne logiquement à la suppression de l’impôt, et donc à la question de comment on fait pour payer les dépenses de l’Etat), il convient purement et simplement de supprimer l’Etat, les fonctionnaires et tout cela. C’est pour cela que c’est un anarchiste. Sans aller aussi loin, je dis pour ma part que l’impôt garde un minimum de sens (et ne s’écarte pas trop de l’objectif de lutte contre les inégalités), vu que de toute façon ce sont les classes populaires qui paient, il faut optimiser les dépenses de l’Etat (sans cesse), non pas forcément dans le sens d’une réduction du volume, mais plutôt dans le sens où

  • A un moment t, elles doivent être les missions de l’Etat. En quoi est-il plus efficace (service procuré, coût du service) que ce soit l’Etat qui intervienne ?

  • Une fois que ces missions sont déterminées, en a-t-on un fonctionnement optimal ? parce que toute perte sera in fine payée par les contribuables (et donc les classes les plus populaires)

Si ces deux points sont faits, il y a fort à parier que cela se traduira aussi par une baisse des dépenses, et donc une baisse de ces impôts.

 

Son livre est passionnant sur bien d’autres aspects. Nous y reviendrons…

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