Le net est devenu l'un des canaux privilégiés pour les amateurs de cinéma camerounais. La fermeture des cinémas "Le Wouri" et "Abbia" a contribué au phénomène. C'est ainsi que se sont développées des webseries ou des films directement accessibles sur le net. C'est le cas de « Tu Know My Life » (TKML) série produite et jouée par l'association Youtalk qui s'est positionnée sur la vie des (jeunes) Camerounais de la diaspora occidentale. TKML a connu un beau succès d'estime dans son public, et d'autres projets ont suivi (les NewTalkers, Dr Nkante, etc.). Ils nous reviennent aujourd'hui avec Etchi, leur premier film. Cet article se propose d'en faire une revue...

Le titre exact est « Etchi, le mystère des rêves lucides ». Il raconte l'histoire d'amours contrariés entre Foumane, jeune Camerounais tourmenté et Lena sa mystérieuse épouse, après une tentative ratée de retour au Cameroun. Dans cette intrigue, originale pour le genre, nous faisons aussi des incursions dans des scènes de vies racontant le quotidien d'autres jeunes de la diaspora, et abordant des thématiques intéressantes. Creusons plus avant notre revue.


 

Commençons par la forme. Précisons que Youtalk est une association auto-financée (en moyens et en passion), et qu'ils font preuve de beaucoup de mérite et d'innovation. L'image est de très bonne qualité. Le son est bon, sauf quelques épisodes de tournage dans des milieux non isolés, mais le spectateur entend tout. Nous ne comptons pas les scènes où plusieurs perspectives sont simultanément présentées dénotant la qualité du travail des cameramans et du montage. Les acteurs sont bien habillés, parfois avec une vraie recherche (notamment pour les tenues africaines, issues d'un partenariat avec une styliste). Les dialogues sont pour la plupart bien écrits, avec quelques punchlines qui valent le détour comme celles de Kunde (qui nous avait habitués avec son rôle de Malep dans TKML). Il n'est pas le seul à avoir des punchlines bien senties. Le scénario, qui autour de l'histoire principale fait des incursions dans d'autres univers a permis d'avoir quelques rebondissements surprenants. Une scène en particulier où la spectatrice derrière moi a dit « alors là, je ne m'y attendais vraiment pas. Je pensais que... ». Enfin, Etchi propose aussi, dans certains contextes uniquement des éléments qui font penser à un film d'art et d'essai (monologue, volonté de profondeur psychologique, etc.). Vraiment original.

Un bémol cependant, entre l'univers de Foumane et les autres univers, il y a un grand gap en termes de « niveau », de langage ou de lyrisme poétique. A mon avis, le film aurait gagné en un peu plus d’homogénéité sur ce plan là. ,,,


 

Concernant le fond, nous pensons qu'une œuvre artistique peut décrire le réel, présenter une thématique et susciter une réflexion chez ceux qui la reçoivent ou carrément prendre position et défendre une thèse. Etchi s'est placée sur la voie de la description. Description de la vie des jeunes qui sont entrés dans la vie active (boulot, fête, vie de couple, etc.).

L'originalité du film (en comparaison d'autres productions visant le même public) est d'aborder des thématiques parfois difficiles. Citons d'abord les problèmes psychologiques que peuvent rencontrer les gens et qui ont tendance à être occultés dans la société africaine et camerounaise en particulier (nous n'avons pas le temps d'être en dépression car on doit se battre. Il y a pourtant des gens en détresse psychologique, même au village). Nos « victimes » viennent ici du chômage (Kunde), du veuvage et de la perte d'un enfant. D'autres thèmes difficiles sont abordés. Citons les violences conjugales, l'immigration illégale, les mariages arrangés, l'homosexualité, le conflit entre traditions et modernisme, le besoin de retours aux racines ancestrales de certains (appelé afrocentrisme dans le film), etc. C'est un mérite. J'ai particulièrement apprécié aussi la présentation d'une call girl (disons pute de luxe) sans jugement moral la plupart du temps, bien qu'elle même sur la fin se « juge » un peu.

Le bémol de tous ces thèmes abordés, est que justement, ils ne sont qu'abordés. Ils ne sont pas toujours creusés en profondeur, et du coup on peut en ressentir de la frustration si le thème nous intéresse ou de l'injustice si on pense qu'il a été mal présenté. Le monde de l'entreprise décrit l'est très sommairement. Par exemple Matchuissi qui « claque » 10 mille euros comme un jeu « parce qu'il est directeur commercial » alors que sa maison ne correspond pas à un tel rythme de vie ou la psy qui travaille à la maison avec son époux quasimment en caleçon. Je suis loin d'être afrocentriste, mais je pense que la vison qui en est présentée dans le film est un peu restrictive. Par contre je suis Camerounophile, et l'épisode de l'enfant qui meurt sur la route en est illustration. Certes cette route est dangereuse, mal entretenue (et l'actualité récente ne le démentira pas) mais le film laisse entendre que l'enfant est mort juste parce que son père a pris la route (on ne sait pas s'il roulait trop vite, s'il avait bu, si un chauffard a causé l'accident, bref, on ignore la cause). Ici par exemple, avec deux minutes de plus sur le sujet, on aurait pu bien mettre en exergue les dangers de cette route, et la raison de la culpabilité ressentie par le père.

Mais ces bémols ne sont que ce qu'ils sont : des bémols qui ne remettent pas en cause les points positifs cités. Explicables en partie parce qu'ils arrivent comme dans un rêve, et nous savons tous que dans les rêves on ne creuse pas souvent ce qui arrive. En outre, l'équipe Youtalk nous a appris que leur prochain projet sera un film « Wanda Land » qui portera sur les églises réveillées. Gageons qu'alors, ils auront le temps de choisir une ou deux thématiques, et de les creuser à fond.

 

Pour toutes ces raisons, allez voir le film. Allez voir les prochains films. Il s'agit d'une bande de jeunes qui par leur passion désintéressée, leur engagement, leur talent, a déjà fait pas mal, et peut encore aller plus loin comme ils le disent eux mêmes.

Et si le Movie Director (MD) et président de l'association se trouve être mon frère, je pense avoir été objectif dans la revue que vous venez de lire.

 

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